décret du 20 février 2023

Publication du décret d’application de la loi du 28 février 2022 portant création du Conseil des maisons de vente

Le 22 février dernier, le décret n° 2023-119 du 20 février 2023 relatif aux opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et au Conseil des maisons de vente, portant application de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022 visant à moderniser la régulation du marché de l’art, a été publié au Journal officiel de la République française.

Sauf exception [1], ses dispositions sont d’application directe dès son entrée en vigueur, c’est-à-dire, au lendemain de sa publication.

 

La publication du décret du 20 février 2023, qui parachève le processus législatif entamé par l’adoption de la loi du 28 février 2022 précitée, apporte plusieurs précisions quant aux modalités d’application de celle-ci :

 

(1°) La création d’une nouvelle autorité de régulation des ventes aux enchères publiques :

Ainsi que son nom l’indique, le décret marque la création du nouveau « Conseil des maisons de vente » qui remplace le « Conseil de ventes volontaires ».

Si le décret est d’application immédiate, l’ancien Conseil des ventes volontaires sera chargé, en tant qu’institution intérim, d’organiser les premières élections aboutissant à la création définitive du Conseil des maisons de vente (article 33 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023).

Conformément aux dispositions de la loi du 28 février 2022, le décret prévoit que le Conseil des maisons de vente sera désormais composé de :

  • six commissaires-priseurs élus (et non plus trois nommés) parmi deux circonscriptions territoriales, c’est-à-dire, trois exerçant en Île-de-France et trois exerçant hors de l’Île-de-France ;
  • cinq personnalités qualifiées , dont
    • deux nommées par le ministre de la Justice ;
    • deux nommées par les ministre chargé de la Culture ;
    • une nommée par le ministre chargé du Commerce.

Son président est nommé par le ministre de la Justice parmi les membres personnalités qualifiées du Conseil (article L. 321-21 du code de commerce).

Le décret prévoit les modalités pratiques d’élection des six professionnels, membres du Conseil des maisons de vente :

  • Les électeurs et les personnes éligibles sont définies comme : « les opérateurs personnes physiques désignés au I de l’article L. 321-4 [du code de commerce] ainsi que les personnes physiques dirigeants, associés ou salariés d’un opérateur personne morale et habilitées à y diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Dans tous les cas, ces personnes doivent être à jour de leurs obligations administratives à l’égard du Conseil des maisons de vente.» (article R. 321-36-1 nouveau du code de commerce).
  • La tenue de l’élection sera faite à distance par le biais d’un dispositif de vote électronique dont le prestataire doit être choisi et la sécurité assurée par le Conseil des maisons de vente (article 17 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023).

 

(2°) La procédure disciplinaire et les recours possibles

Au sein du Conseil des maisons de vente, le commissaire du Gouvernement et la Commission de sanctions exercent conjointement le pouvoir disciplinaire.

Le commissaire du Gouvernement est un magistrat de l’ordre judiciaire qui instruit les demandes de réclamation à l’encontre des commissaires-priseurs et maisons de vente et engage d’éventuelles procédures disciplinaires (article 26 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023), tout en assurant un rôle de conciliation (articles L. 321-18, 11° et R. 321-45-2 du code de commerce). Il est assisté par un professionnel nommé par arrêté du garde des Sceaux, sur proposition du Conseil (article R. 321-40, 5°  du code de commerce).

En cas de saisine par le commissaire du Gouvernement de la Commission des sanctions [2], cette dernière statue par décision motivée après débat contradictoire et peut prononcer d’éventuelles mesures conservatoires et sanctions en nature et pécuniaires (articles R. 321-46 à -48 et L. 321-23-2, II° du code de commerce).

Les décisions du Conseil des maisons de vente et de la Commission des sanctions peuvent faire l’objet de recours devant la Cour d’appel de Paris ou, en cas de référé, devant son premier président (article L. 321-23-3 du code de commerce).

 

(3°) Les modifications de l’activité et du statut des commissaires-priseurs

Le décret acte la réinstauration du titre de « commissaire-priseur » s’agissant des seules personnes physiques dirigeant les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Il modifie les exigences relatives à la qualification et les modalités du stage d’accès à l’activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (articles 2 et 8 du décret n° 2023-119 du 20 février 2022).

Concernant l’enseignement pratique du stage de deux ans (article R. 321-26 du code de commerce), celui-ci s’effectue désormais uniquement chez un opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, et non plus chez un commissaire de justice ou un courtier de marchandises assermenté. Le stagiaire peut toujours demander à effectuer une partie de cet enseignement chez l’un de ces professionnels mais également auprès d’un notaire, d’un mandataire judiciaire ou d’un administrateur judiciaire (article R. 321-17 code de commerce).

Le décret fixe également les modalités de l’obligation de formation professionnelle continue. Les commissaires-priseurs devront désormais accomplir 20 heures de formation au cours d’une année civile ou 40 heures au cours de deux années consécutives (dont dix heures sur la déontologie et le statut professionnel lors des deux premières années d’exercice) en :

  • assistant à des formations en divers domaines, dont notamment le droit et l’histoire de l’art ;
  • assistant à des formations à caractère technique en divers domaines, dont notamment en graphisme et en développement informatique et web ;
  • assistant à des colloques ou des conférences ayant un lien avec l’activité professionnelle ;
  • dispensant des enseignements ayant un lien avec l’activité professionnelle ;
  • publiant de travaux ayant un lien avec l’activité professionnelle (article R. 321-31-1 nouveau du code de commerce).

Désormais, les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques pourront informer le Conseil des maisons de vente de la tenue d’une vente aux enchères par tout moyen conférant date certaine à sa réception, et non plus obligatoirement par lettre recommandée avec avis de réception (article R. 321-32 nouveau du code de commerce).

 

(4°) L’accès partiel aux activités de vente volontaire de meubles aux enchères publiques par les ressortissants communautaires

Enfin, le décret apporte des précisions sur les conditions de l’accès partiel des ressortissants communautaires et des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen à l’activité d’organisation des ventes aux enchères publiques permis par la loi de 2022 afin de se conformer aux exigences des textes européens de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnels (article 11 de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022).

Il précise en détail les modalités des demandes devant être adressées au Conseil des maisons de vente par téléprocédure sur son site internet, ainsi que les pièces devant accompagner cette demande, dont :

  • une requête sollicitant l’accès partiel ;
  • des documents attestant l’identité et la nationalité de l’auteur de la requête ;
  • des documents permettant de vérifier que le demandeur satisfait aux conditions cumulatives énumérées à l’article L. 321-28-1 nouveau du code de commerce ;
  • une attestation certifiant que l’auteur de la demande répond aux conditions fixées à l’article L. 321-4, I, 2° du code de commerce ;
  • la justification de la souscription des garanties nécessaires à l’exercice de l’activité (article R. 321-68 nouveau du code de commerce).

Le Conseil des maisons de vente se prononce par décision motivée dans un délai de trois mois à compter de la présentation du dossier complet et peut soumettre son autorisation à l’accomplissement d’une épreuve d’aptitude dont les modalités seront fixées par arrêté du garde de Sceaux (articles R. 321-69 et R. 321-55 du code de commerce).

 


[1] Décret n° 2023-119 du 20 février 2023 : « Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication, à l’exception des dispositions de l’article 39 qui entrent en vigueur le 1er mars 2023, et celles de l’article 37 et des 2° et 3° de l’article 38 qui entrent en vigueur le 1er mars 2024. ».

[2] Article. L. 321-23 nouveau du code de commerce : la Commission de sanctions est composée de trois membres nommés par arrêté du le ministre de la Justice :

  • un membre du Conseil d’État ;
  • un conseiller à la Cour de cassation ;
  • une personnalité ayant cessé d’exercer depuis moins de cinq ans l’activité de vente volontaire aux enchères publiques.

Courte citation

Le 8 février dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt publié au bulletin à propos de la licéité de l’exception de courte citation dès lors qu’elle se trouve justifiée par un caractère d’analyse.

 

En l’espèce, l’exécuteur testamentaire en charge de l’exercice du droit moral du compositeur et artiste interprète, Jean Ferrat, décédé le 13 mars 2010, a assigné, conjointement avec sa société de production, en contrefaçon l’éditeur d’un ouvrage dédié à l’artiste qui reproduisait 131 extraits des textes des chansons de l’auteur.

Dans un arrêt du 12 janvier 2021, la cour d’appel de Paris avait rejeté sa demande au motif que : « que, le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur » et que l’éditeur : « avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d’elles était nécessaire à l’analyse critique de la chanson à laquelle se livrait [l’auteur de l’ouvrage] permettant au lecteur de comprendre le sens de l’œuvre évoquée et l’engagement de l’artiste, et que ces citations ne s’inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage qui, richement documenté, s’attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [Jean Ferrat] ».

 

L’exécuteur testamentaire et sa société de production se sont pourvus en cassation.

Dans un arrêt du 8 février 2023 (n°21-23.976), la Cour de cassation rejette leur pourvoi en ne relevant aucune atteinte au droit moral de l’auteur.

Tout d’abord, elle rappelle dans sa motivation que le droit au respect du nom de l’auteur, de sa qualité et de son œuvre prévu à l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et que son exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

Elle énonce que l’exercice du droit moral de l’auteur d’une œuvre de l’esprit cohabite avec les exceptions au droit d’auteur prévues à l’article L. 122-5 du même code et notamment l’exception de courte citation qui permet, sous réserve du respect de l’indication du nom de l’auteur et de la source, une utilisation libre et gratuite de l’œuvre.

La Cour de cassation estime que la divulgation de l’œuvre prive l’auteur de la possibilité d’: « interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source. ».

La Cour de cassation approuve l’arrêt rendu et considère que : « la cour d’appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a ainsi pu accueillir l’exception de courte citation ». Les citations prises individuellement ont été implicitement considérées comme étant suffisamment brèves et leur utilisation justifiée « par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage ».

Mécénat et acquisitions
Gustave Caillebotte, Partie de bateau, Vers 1877-1878, Huile sur toile.
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy.

Le 30 janvier 2023, le tableau « Partie de bateau », également connu sous le nom « Canotier au chapeau haut-de-forme », peint en 1878 par Gustave Caillebotte, a été acquis par le musée d’Orsay [1].

Cette acquisition a été rendue possible grâce au financement du groupe LVMH à hauteur de 43 millions d’euros dans le cadre du dispositif de mécénat d’entreprise visant l’acquisition des trésors nationaux au profit d’une collection publique.

C’est l’occasion de revenir sur les aspects juridiques de ce mécanisme mis en place par la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations et qui permet aux institutions culturelles d’acquérir, de conserver et de protéger le patrimoine culturel et artistique afin de le rendre accessible au public.

 

> Les principales étapes sont les suivantes :

 

1°/ Un propriétaire souhaite vendre une œuvre ou un objet d’art et sollicite un certificat d’exportation [2] auprès du ministère de la Culture.

Si le bien culturel constitue un trésor national défini à l’article L. 111-1 du code du patrimoine comme les biens culturels présentant un intérêt historique, artistique ou archéologique, le ministre de la Culture rend une décision de refus de délivrance d’un certificat d’exportation auquel est joint l’avis motivé de la commission consultative des trésors nationaux composée à parité de représentants de l’Etat et de personnalités qualifiées et présidée par un membre du Conseil d’Etat [3].

Cette décision a pour effet de classer le bien culturel comme trésor national et de l’immobiliser sur le territoire national pendant une période de trente mois avec interdiction de le quitter, sous réserve d’exceptions [4], afin de permettre à l’autorité administrative, de présenter une offre d’achat du trésor national à son propriétaire dans l’intérêt des collections publiques [5].

Dans le cas de l’acquisition de l’œuvre « La Partie de bateau » de Caillebotte, les héritiers de l’artiste ont sollicité en octobre 2019 la délivrance d’un certificat d’exportation afin de vendre la toile [6]. En janvier 2020, l’Etat français a classé l’œuvre comme trésor national en raison de son intérêt majeur pour le patrimoine national et aucun certificat d’exportation n’a été délivré [7].

 

2°/ Lorsque l’Etat décide de présenter une offre [8], celle-ci doit être formulée en respect des prix pratiqués sur le marché international. Le propriétaire du bien peut parfaitement la refuser ou faire procéder à une expertise conjointe pour fixer le prix du bien [9].

Compte tenu des prix des œuvres sur le marché de l’art, les budgets d’acquisition des musées nationaux se révèlent bien souvent insuffisants et le recours au mécénat nécessaire.

Si le propriétaire accepte l’offre d’achat, le paiement du prix doit intervenir dans un délai de six mois à compter de l’accord, à peine de résolution de la vente [10].

Après avoir fait évaluer le tableau de Caillebotte au prix du marché, le ministre de la Culture a formulé une offre d’achat aux propriétaires de l’œuvre. Les parties se sont accordées sur un prix d’achat de 43 millions d’euros.

 

3°/ Pour financier l’acquisition et en application du régime de la commande publique, le ministre de la Culture procède à un appel d’offres en respect du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de mise en concurrence [11].

Celui-ci est publié au Journal Officiel de la République [12]. Les entreprises peuvent alors adresser une offre au ministre de la Culture qui, s’il l’accepte, la transmet au ministre du Budget. Une décision d’acceptation ou de rejet de l’offre est ensuite notifiée à l’entreprise dans le respect de délais précisément déterminés [13].

En cas d’acceptation, les fonds sont versés à la Réunion des musées nationaux [14].

En mars 2022, le ministre de la Culture a procédé à un appel d’offres au mécénat d’entreprise de 43 millions d’euros pour lequel l’offre du groupe LVMH a été retenue.

 

4°/ L’entreprise doit encore satisfaire à certaines exigences prévues par les articles 238 bis-0 A du code général des impôts et L. 122-6 du code du patrimoine afin de pouvoir prétendre à une réduction d’impôt de 90 % :

  • L’entreprise doit être soumise à l’impôt sur les sociétés selon un régime réel d’imposition [15] ;
  • La réduction d’impôt ne peut être supérieure à 50% du montant de l’impôt dû par l’entreprise au titre de cet exercice [16] ;
  • La réduction d’impôt s’applique uniquement sur l’impôt sur les sociétés dû au titre de l’exercice au cours duquel les versements sont acceptés [17] ;
  • Les versements ne sont pas déductibles pour la détermination du bénéfice imposable [18].

En l’espèce, en contrepartie de sa donation de 43 millions d’euros aux fins de l’achat du Caillebotte au bénéfice du Musée d’Orsay, le groupe LVMH bénéficie désormais d’un abattement fiscal de 90 % de la somme versée, soit 38.7 millions d’euros des impôts dus sur la durée de l’exercice en cause.

***

[1] Avis d’appel au mécénat d’entreprise publié au Journal officiel le 25 mars 2022.

[2] Règlement (CEE) n°3911/92 du Conseil, 9 décembre 1992 concernant l’exportation des biens culturels ; Loi n°92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane.

[3] Art. L. 111-4 al. 4 du code du patrimoine ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §512.53.

[4] Art. L. 111-7 du code du patrimoine.

[5] Art. L. 121-1 al. 1 du code du patrimoine ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §512.72.

[6] Avis n° 2019-16 de la Commission consultative des trésors nationaux.

[7] Notification officielle d’acquisition de l’œuvre par le Musée d’Orsay et par le ministère de la Culture.

[8] Art. 171 BA al. 2 du code général des impôts.

[9] Article L. 121-1 du code du patrimoine ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, François Duret-Robert, Dalloz Action, éd. 7, §512.73.

[10] Art. L. 121-1 al. 7 du code du patrimoine.

[11] François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §812.36.

[12] Art. 171 BA al . 1 du code général des impôts.

[13] Art. 171 BB et 171 BC du code général des impôts.

[14] Articles 171 BB et BC du code général des impôts ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §514.11 ; Art. 238 bis-0 A du code général des impôts (tel que modifié par l’article 23 de la loi du 4 janvier 2002, L. n° 2002-5, 4 janvier 2002)

[15] Art. 238 bis-0 A al. 1 du code général des impôts ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, François Duret-Robert, Dalloz Action, éd. 7, §812.11.

[16] Art. 219, I du code général des impôts.

[17] Art. 238 bis-0 A al. 5 du code général des impôts.

[18] Art. 238 bis-0 A, al. 3 du code général des impôts ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §812.22.

Droit pénal de l'art

Dans le cadre de la publication du 36ème numéro de la revue Grasco (Groupe de Recherches – Actions sur la Criminalité Organisée), Anne-Sophie Nardon a proposé une analyse détaillée du cadre législatif pénal français et international applicable aux infractions touchant le marché de l’art.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Le droit pénal de l’art – enjeux et perspectives, revue Grasco n° 36 – janvier 2022

prescription œuvre d'art inauthentique

Le 10 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en nullité fondée sur l’erreur sur la substance dans le cadre de la vente d’une œuvre d’art (CA Paris, pôle 4, ch. 13, 10 janvier 2023, n°20-15.324).

Aux termes de cette décision, elle estime que « le doute avéré sur l’authenticité d’une œuvre d’art suffit à fonder une action en nullité de la vente de sorte que le délai de prescription commence à courir à compter de la connaissance par [l’acquéreur] de ce doute et non à compter de la certitude de l’inauthenticité […] ».

L’action en nullité de la vente pour erreur portant sur l’authenticité d’une œuvre est encadrée par un double délai de prescription :

  • un délai flottant de cinq ans qui court à compter de la découverte de l’erreur sur l’authenticité de l’œuvre (articles 2224 et 1144 du code civil) ;
  • un délai butoir de vingt ans qui court à compter du jour de la conclusion de la vente (article 2232 alinéa 1er du code civil).

Dans sa décision, la Cour d’appel vient préciser une jurisprudence traditionnelle selon laquelle le délai « ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non simplement soupçonnée (Civ. 1re, 31 mai 1972, n° 71-10.571, reprise par la Cour d’appel dans son arrêt du 10 janvier 2023), en estimant qu’il court donc à compter du « jour où l’acquéreur a eu un doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre ».

Elle considère qu’aux fins d’établir ce doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre, il n’est pas nécessaire que l’inauthenticité soit établie de façon irréfutable et certaine. Ainsi, elle écarte la date de dépôt du rapport d’expertise judiciaire au profit de la date à laquelle l’acquéreur a eu connaissance du doute sur l’authenticité de l’œuvre par un expert ayant autorité sur le marché, afin de faire courir le délai.

L’expertise judiciaire qui établit avec certitude la caractère authentique ou apocryphe d’une œuvre au niveau juridique n’est donc pas indispensable pour faire courir le délai de prescription (cf. TGI Paris, 5e ch., 1re sect., 25 sept. 2013, RG n° 08/03229 pour une solution contraire).

En l’espèce, la saisine du juge des référés aux fins de désignation d’un expert judiciaire étant intervenue après l’expiration du délai de prescription, elle n’a pu interrompre le délai d’action prévu à l’article 2241 du Code civil.

Art & Cultural Heritage Law

Dans le cadre de la newsletter du Art & Cultural Heritage Law Comitee de l’American Bar Association, Anne-Sophie Nardon a publié un article revenant sur deux décisions récentes des tribunaux français (Tribunal judiciaire de Rennes, 10 mai 2021, n°17/04478 et Cour d’appel de Paris, 30 septembre 2022, n°20/18194) relatives à l’exception de parodie, notion autonome du droit de l’Union, en matière d’œuvres relevant du courant artistique appropriationniste.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Article publié dans « Art & Cultural Heritage Law Newsletter »

Indemnisation perte de jouissance

Conseil d’Etat, 22 juillet 2022, n°458590

Le bien concerné est un manuscrit de la fin du XVème siècle comportant un texte de Saint Thomas d’Aquin, acquis en 1901 lors d’une vente aux enchères par une personne privée puis transmis par voie successorale. Depuis 1991, le manuscrit était à disposition du public au sein d’archives départementales.

En 2016, le propriétaire se voit refuser sa demande de certificat d’exportation au motif que le bien appartenait au domaine public, par l’effet d’un décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789 ayant placé tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation.

L’appartenance au domaine public est confirmée, mais le détenteur de bonne foi du manuscrit, contraint de restituer le bien, engage alors une action en responsabilité à l’encontre de l’Etat afin d’obtenir la réparation du préjudice moral et financier subi. La cour administrative d’appel ayant fait droit à cette demande, le ministre de la Culture s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.

S’il est acquis que l’imprescriptibilité s’oppose à la contestation de la restitution d’un bien relevant du domaine public (L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques), y compris si le détenteur est de bonne foi, cet arrêt permet d’aborder la question de la réparation du préjudice au regard de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme qui garantit le droit au respect des biens.

Selon, le Conseil d’Etat, il découle de ces dispositions que : « le détenteur de bonne foi d’un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d’un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi » (§3).

En l’espèce, compte tenu de la durée et des conditions de la détention de bonne foi du manuscrit par la famille du requérant ainsi que de l‘attitude des pouvoirs publics qui n’en ont jamais revendiqué la propriété (jusqu’à la vente aux enchères de 2018 alors qu’ils le pouvaient depuis le dépôt aux archives départementales en 1991), le Conseil d’Etat a reconnu que le requérant disposait « d’un intérêt patrimonial à en jouir suffisamment reconnu et important » dont la privation constituait, en l’espèce, « une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ». Dès lors, « l’intérêt public majeur qui s’attachait à la restitution à l’État de cette œuvre d’art n’excluait pas, par principe, le versement à son détenteur d’une indemnité en réparation du préjudice résultant de cette perte de jouissance ».

Enfin, l’arrêt précisait encore que si le détenteur de bonne foi tenu à l’obligation de restitution n’avait pu justifier d’une telle « charge spéciale et exorbitante », il aurait néanmoins pu prétendre, « le cas échéant, à l’indemnisation des dépenses nécessaires à la conservation du bien » ainsi que « en cas de faute de l’administration, à l’indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute ».

NFT

Le 12 juillet dernier, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CLSPA) remettait au ministère de la Culture un rapport dédié aux NFT ayant pour sous-titre « sécuriser le cadre juridique pour libérer les usages ». La mission de ses auteurs, Jean Martin, avocat à la Cour et Pauline Hot, maître des requêtes au conseil d’Etat, était de « fournir un état des lieux permettant d’identifier, d’analyser et d’évaluer le phénomène des NFT dans ses divers aspects juridiques, notamment au prisme des droits d’auteur ».

Pour rappel, les NFT sont des jetons échangeables sur une blockchain – technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe central de contrôle – en cryptomonnaies ou en devises et qui constituent une forme de certificat de propriété associé à un objet numérique ou à un double digital d’un actif physique.

Dans le secteur du marché de l’art, l’année 2021 fut celle de l’émergence des NFT avec la première adjudication, par la maison de ventes aux enchères Christie’s, d’une œuvre digitale NFT – «Everydays : The first 5000 days» de l’artiste américain Beeple – ayant atteint la somme de 69,3 millions de dollars.

Depuis, les usages des NFT se sont multipliés dans les domaines culturels et créatifs : nouveau moyen d’acquisition pour les collectionneurs, nouveau médium pour les artistes, atout pour la traçabilité des œuvres pour le marché de l’art, ou encore, nouvel instrument de levée de fonds pour le mécénat des institutions culturelles, …

Pourtant, leur appréhension par le droit demeure progressive et soulève de multiples problématiques juridiques examinées au sein de cet éclairant rapport.

  • Une définition juridique en construction

Dans leur rapport, les auteurs ont écarté les qualifications juridiques inopportunes. Ainsi, un NFT ne saurait être confondu avec un jeton tel qu’il est défini par le code monétaire et financier , avec une œuvre de l’esprit au sens de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ou encore avec un certificat d’authenticité.

Jean Martin et Pauline Hot retiennent la définition suivante : le NFT est assimilable à un bien meuble incorporel correspondant à un : « titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain […] dont l’objet, la nature et l’étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur » . Plus précisément, ces caractéristiques – objet, nature, étendue – dépendent des prévisions des « smart contract » , c’est-à-dire des « programmes informatiques qui associés à un jeton d’une blockchain lui confère des propriétés et des fonctions qui les rendent uniques ».

  • Risques liés au manque d’encadrement juridique des NFT

Le NFT demeure un « objet juridique non identifié » dont il est complexe de définir avec précision et certitude le régime devant lui être appliqué. Toutefois, les auteurs du rapport se sont attelés à en dresser un état des lieux exhaustif des potentiels risques juridiques (droit pénal, droit administratif des biens, droit de la consommation, droit fiscal, …).

En ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle, ils retiennent notamment les enjeux suivants :

L’identification du titulaire de droit

Cette difficulté a d’ores et déjà nourri un important contentieux. En effet, l’existence de contrats antérieurs de cession totale ou partielle de droits ou l’existence d’ayants-droit multiples peut poser des difficultés pour la production de NFT. A ce titre, le rapport cite l’exemple du petit-fils d’August Sanders, ayant émis des NFT sur la collection de photographies de son grand-père, poursuivi en justice par la fondation SK Stiftung Kultur qui revendique la titularité des droits jusqu’en 2034 .

Les potentielles atteintes au droit d’auteur lors de l’émission d’un NFT

L’émission d’un NFT nécessite impérativement l’accord de l’auteur de l’œuvre faisant l’objet du fichier numérique créé (ou de ses ayants-droit) au titre des droits de reproduction et de représentation.

Une potentielle atteinte au droit moral pourrait par ailleurs être constituée s’il était retenu par la jurisprudence que la production de NFT eût éventuellement « dénaturé » l’œuvre protégée.

Les risques d’atteintes aux droits patrimoniaux lors des cessions et reventes

En principe, l’acquisition d’un NFT ne confère à l’acheteur aucun droit de nature patrimoniale sur l’œuvre. En l’absence de cession ou de licence contractuelles des droits patrimoniaux – dont l’intégration dans le « smart contract » pose des difficultés techniques selon les auteurs en raison du formalisme imposés par les articles L. 131-2 et L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle –, le NFT donne un simple accès personnel au fichier ce qui peut se révéler déceptif pour l’acquéreur.

Le droit de suite soulève également des problématiques spécifiques. A première vue, sa collecte pourrait être automatisée. Ce procédé demeure à ce jour relativement théorique compte tenu des conditions restrictives qui entourent l’application de ce droit. Par exemple, il est nécessaire qu’un professionnel du marché de l’art intervienne dans la vente : condition difficilement vérifiable via le « smart contract » associé au NFT.

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Les auteurs du rapport concluent que les dispositions du code de la propriété intellectuelle trouvent à s’appliquer sans difficultés insurmontables : les NFT ne s’inscrivent donc pas dans un véritable « vide juridique ». Toutefois, ils préconisent quelques améliorations pour sécuriser le cadre juridique des NFT.

  • Pistes de sécurisation juridique envisagées

Afin de sécuriser l’utilisation des NFT et pour inciter au développement d’usages vertueux et non spéculatifs, Jean Martin et Pauline Hot achèvent leur rapport par 20 propositions parmi lesquelles :

– celle d’engager une réflexion sur les modalités techniques permettant d’assurer l’effectivité des décisions judiciaires pour lutter contre la contrefaçon, et ce, compte tenu du caractère a priori immuable de la blockchain ;

– de diffuser une documentation pédagogique simplifiée sur le droit d’auteur à destination notamment des plateformes de vente de NFT ;

– ou encore d’engager une réflexion sur la mise en œuvre d’une fiscalité adaptée à l’art numérique.

La publication de ce rapport invite les pouvoirs publics à s’emparer de la question des NFT en prenant en compte les aspects juridiques, socio-économiques et écologiques, pour permettre d’atteindre toutes leur potentialité dans le domaine de la culture et du marché de l’art.

Warhol

Le 3 octobre prochain, la Cour suprême des Etats-Unis rendra sa décision dans le litige opposant la Fondation Andy Warhol et la photographe Lynn Goldsmith à propos de l’utilisation d’une photographie du chanteur Prince pour une série de sérigraphies.

Au même titre que de nombreux artistes (Sherry Levine, Jeff Koons, Marcel Duchamp etc.), Andy Warhol est un adepte de « l’art transformatif » ou « appropriation art » qui consiste à créer une œuvre nouvelle en s’inspirant ou en reproduisant des œuvres préexistantes.

Cette pratique artistique pose la question de l’application de la doctrine américaine du « fair use » selon laquelle un artiste peut reprendre, sans autorisation de l’auteur, tout ou partie d’une œuvre préexistante tant que cet usage demeure « loyal ».

En 2019, le tribunal avait jugé établie l’existence d’un « fair use ». En 2021, la cour d’appel a adopté une position inverse en retenant la violation des droits d’auteur de la photographe Lynn Goldsmith. Pour la première fois, la Cour suprême devrait venir préciser les critères d’appréciation future du « fair use » dans les arts graphiques.

Parmi les institutions ayant déposé un mémoire, l’U.S. Copyright Office a fait valoir que l’œuvre de Warhol ne devrait pas être considérée comme transformative car, le cas échéant, « d’innombrables utilisations secondaires qui nécessitent actuellement une licence seraient présumées loyales » [traduction libre]. Pour appuyer sa position, l’U.S Copyright Office se réfère notamment à un arrêt de la Cour Suprême de 1989 Campbell v. Acuff-Rose Music qui a retenu que les utilisations : « pour attirer l’attention ou pour éviter le travail laborieux d’élaborer quelque chose de nouveau » [traduction libre] auront plus de mal à prétendre au bénéfice du « fair use ».

 

Sources :

Second Circ. Fair Use Doctrine in Andy Warhol Foundation v Goldsmith (natlawreview.com)

Barbara Kruger, Robert Storr, and the U.S. Copyright Office Have Filed Briefs in the Supreme Court’s Historic Andy Warhol Copyright Case | Artnet News

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