Liberté de création versus dignité humaine : fin de l’affaire de l’exposition « Infamille »

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Le 17 novembre dernier, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a clos une longue affaire judiciaire, opposant le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de Lorraine à l’Association Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française (AGRIF), celle-ci concernait l’exposition « You are my mirror 1 : L’infamille » du FRAC de Lorraine de 2008. L’AGRIF avait porté plainte contre le FRAC de Lorraine à propos de l’exposition d’une œuvre dont elle estimait qu’elle contrevenait aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal relatif à la diffusion de messages violents ou pornographiques susceptibles d’être perçus par un mineur.

 

L’association considérait qu’une œuvre constituée de dix-neuf fausses lettres manuscrites portait atteinte à la dignité humaine. Ces lettres se composaient notamment des phrases suivantes :  » […] Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […] Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […]  »

 

La Cour de cassation a statué en faveur de la liberté de création artistique, rejetant le pourvoi de l’AGRIF. Elle affirme que la dignité humaine seule ne peut restreindre cette liberté, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Chronologie de l’affaire

 

 

La plainte ayant été classée sans suite, l’AGRIF a intenté une action en indemnisation devant le Tribunal administratif de Strasbourg, qui s’est déclaré incompétent.

 

L’AGRIF a alors assigné la FRAC devant le tribunal de grande instance de Metz en réparation du préjudice causé aux intérêts collectifs qu’elle a pour objet de défendre, en raison d’une atteinte portée à la dignité de la personne humaine protégé par l’article 16 du Code civil. La FRAC à verser symboliquement un euro à l’AGRIF au titre de dommages et intérêts.

 

Cependant, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de Metz en 2017 qui a retenu l’imprécision de l’article 16 du Code civil.

 

En 2018, la Cour de cassation a cassé cette décision, reconnaissant l’article 16 du Code civil comme étant un principe à valeur constitutionnelle[1].

 

En 2021, la Cour d’appel de Paris statuant sur renvoi a rejeté les demandes indemnitaires de l’AGRIF, affirmant que l’atteinte à la dignité humaine dans l’exposition au sein de l’exposition ne pouvait limiter la liberté d’expression.

 

L’AGRIF s’est pourvue en cassation soutenant que :

 

1°/ Le principe du respect de la dignité humaine est absolu et ne peut être mis en balance avec aucun droit fondamental car il en est la substance et le fondement.

 

2°/ La dignité humaine est une composante nécessaire et suffisante de la protection de la morale et de la défense de l’ordre dans une société démocratique.

 

3°/ La cour d’appel aurait dû examiner si les messages litigieux étaient gravement attentatoires à la dignité de la personne humaine.

 

L’arrêt de la Cour de cassation fait prévaloir la liberté de création artistique

 

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que la dignité humaine n’était pas un motif suffisant pour restreindre la liberté de création artistique, composante de la liberté d’expression[2], protégée par l’article 10 § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Conformément aux dispositions de l’article 10 § 2 de la CEDG, elle énonce que : « toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés. ».

Or, la Cour de cassation retient que :

 

  • L’article 16 du Code civil relatif au respect du corps humain ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10 §2 de la CEDH, justifiant la restriction de la liberté d’expression.

 

La décision de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité d’une récente décision du Conseil d’Etat (CE, 14 avr. 2023, n° 472611, Juristes pour l’enfance / Palais de Tokyo) faisant prévaloir la liberté de création et de diffusion artistiques sur l’atteinte à la dignité humaine et à l’intérêt supérieur de l’enfant après avoir prise en compte des conditions d’accès à l’œuvre et du message de l’artiste.

 

***

[1] Civ. 1ère, 26 sept. 2018, n° 17-16.089

[2] CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33

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