PHOTOGRAPHIE DE RUE, DROIT A L’IMAGE ET VIE PRIVEE

 

Henri Cartier-Bresson, Vivian Maier, Diane Arbus, Joel Meyerowitz, Robert Doisneau… De nombreux photographes célèbres se sont attelés à la photographie de rue. Cette pratique consiste à prendre des clichés dans un lieu public, en présence d’une ou plusieurs personnes afin de capturer une scène authentique du quotidien, prise spontanément, sur le vif. Mais qu’en est-il du droit à l’image lorsqu’un individu est identifiable sur la photographie et que ce dernier s’oppose à la captation et/ou à la diffusion du cliché ? Cette question s’est posée à de nombreuses reprises devant les tribunaux, par exemple pour le fameux cliché « Baiser de l’Hôtel de Ville » de Robert Doisneau, prise en 1950 [1]. Cette affaire renvoie à une problématique récurrente :

 

A-t-on le droit de prendre en photo une personne dans la rue sans son consentement ?

Quels sont les risques et les enjeux de la photographie de rue au regard du droit à l’image et du droit à la vie privée ?

 

  • La distinction lieu public et lieu privé

 

La pratique de la photographie, comme la photographie de studio, peut se dérouler dans un lieu privé. Il se définit comme « l’endroit qui n’est ouvert à personne, sauf autorisation de celui qui l’occupe » [2], et ce « peu important que ce lieu se trouve inclus dans un bâtiment ouvert au public » [3]. Le domicile en est un exemple.

Dans cet espace, la fixation et la publication de l’image d’une personne peut être, en l’absence de tout consentement expresse ou tacite, constitutif d’un délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée, d’après l’article 226-1 du code pénal, punissable d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.

⚠️ Toutefois, il existe une présomption de consentement du sujet de la photographie au profit du photographe dès lors que la photographie a été enregistrée au vu et au su des sujets qui ne s’y sont pas opposés alors qu’ils étaient en mesure de le faire [4].

 

Le lieu public se définit comme le « lieu accessible à tous sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent ou conditionnel, ou subordonné à certaines conditions, heures ou causes déterminées » [5]. Ainsi, tout lieu dans lequel on peut pénétrer sans y avoir été invité personnellement, même s’il faut acheter un billet, constitue un lieu public (par exemple, le métro, le cinéma ou la piscine).

⚠️ Dès lors, dans un lieu public, le fait de prendre une image d’une personne peut constituer une atteinte à sa vie privée et à son droit à l’image mais à certaines conditions seulement.

 

  • Dois-je recueillir le consentement de la personne que je souhaite photographier dans un lieu public ?

 

Si la personne apparaît de manière accessoire et quasiment fortuite sur une image, aucune atteinte à son droit à l’image ou au respect de sa vie privée ne peut, en principe, être constatée [6].

 

Par contre, si la personne constitue le sujet principal et reconnaissable de l’image et apparaît de manière isolée, il est nécessaire d’obtenir son consentement tacite ou expresse préalable [7].

 

🥑 Les risques : Dans un lieu public, lorsque la personne est identifiable et reconnaissable, je risque d’engager ma responsabilité en tant que photographe [8]. L’appréciation ddu caractère identifiable ne se fait pas à partir du public en général, mais en tenant compte des proches de la personne en cause pouvant la reconnaître. Dans le cadre d’un contentieux, la charge de la preuve incombe alors à celui qui estime avoir subi une atteinte à son droit à l’image ou à sa vie privée [9]. Si je renonce à recourir à la signature d’autorisation pour la prise de mes images, je m’expose au risque d’être assigné(e) pour violation du droit à l’image et du respect de la vie privée d’autrui.

 

🥑 Nos conseils : Bien que le consentement puisse intervenir de manière tacite ou se déduire des circonstances [10], il est préférable d’obtenir une autorisation expresse. Cette autorisation fait l’objet d’une interprétation stricte [11] et doit être spéciale, c’est-à-dire préciser les utilisations autorisées [12]. L’autorisation ne doit pas être détournée du contexte dans lequel elle a été donnée [13].

 

⚠️ Attention : si je souhaite photographier un mineur, je dois obtenir le consentement de ses deux parents ou de toute personne détentrice de l’autorité parentale [14].

 

  • Publication ou captation ?

 

On estimait traditionnellement que ce n’était pas l’acte de la prise de photo qui constituait une atteinte au droit à l’image mais l’acte de publication et de diffusion [15]. Or dans une décision récente, la Cour de cassation a rappelé le principe de la responsabilité de plein droit en matière de violation des droits de la personnalité incluant le droit à l’image [16]. Reprenant et précisant la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme [17], elle rappelle que la maîtrise par un individu de son image implique la possibilité de refuser la diffusion de son image mais comprend également le droit pour lui de s’opposer à la captation et la conservation de celle-ci par autrui.  En effet, l’image constitue une caractéristique attachée à la personnalité de chacun dont la protection suppose le consentement de l’individu dès sa captation et non pas uniquement au moment de sa potentielle diffusion au public.

 

 

  • Est-ce que la réponse est identique si ma démarche est artistique ?

 

La liberté d’expression artistique est parfois invoquée pour justifier l’atteinte aux droits d’autrui. Les tribunaux estiment qu’en matière de photographie de rue, la liberté d’expression artistique prime sur le droit à l’image, de sorte que ce dernier ne peut donner lieu à l’interdiction de publication d’une image [18].

 

Toute autre solution aurait pour conséquence, dans le domaine de l’art photographique, de contraindre l’auteur des clichés à « solliciter systématiquement le consentement des personnes à ce que leur image puisse être fixée, puis ensuite publiée, ce qui aurait pour effet de compromettre les photographies prises sur le vif ou la représentation de scènes de rue » [19].

 

Toutefois, il existe deux exceptions à ce principe :

  • L’image ne doit pas constituer une atteinte à la dignité humaine de la personne représentée.
  • La publication ne doit pas avoir des « conséquences d’une particulière gravité» sur la vie privée de la personne photographiée [20].

 

⚖️ Dans une affaire du 5 novembre 2008, intentée à l’occasion de la parution d’un recueil de photographies intitulé « Perdre la tête » du photographe François-Marie Banier [21], la Cour d’appel a rendu un arrêt important concernant le droit à l’image et le droit à la vie privée.  Invoquant les deux droits précités, la requérante demandait le retrait de cet ouvrage d’une image sur laquelle elle apparaissait de manière identifiable, ainsi que l’indemnisation de son préjudice. Elle considérait que la publication de cette photographie, au sein d’un recueil mettant en avant des individus excentriques, marginaux ou exclus de la société, revêtait un caractère dégradant attentatoire à sa dignité.

Les juges ont rejeté ces arguments estimant que le cliché anodin ne relevait aucun élément d’ordre privé, ni n’était dégradant. Ils ont considéré que le droit à l’image devait céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier avait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de communiquer des idées, notamment par le travail d’un artiste.

 

⚠️ Tout le monde ne peut se prévaloir de l’exception de liberté d’expression artistique. En effet, il faut établir le caractère artistique de l’image en cause. Ce caractère est souverainement apprécié par les juges [22] en se référant notamment aux critères de qualification de l’ « œuvre de l’esprit » au sens de l’article L. 112-2 du code de propriété intellectuelle ou en analysant la démarche intellectuelle du photographe pour déterminer si celle-ci est artistique [23].

 


[1] Cass., Civ. 1ère, 16 mars 1999, n°97-11.465.

[2] Cass., Crim., 28 novembre 2006, n° 06-81200 : définition prétorienne.

[3] Cass., Crim., 26 octobre 2010, n° 09-81.492.

[4] Art. 226-1 du code pénal.

[5] TGI Paris, 23 octobre 1986, Gaz. Pal. 1987, 1, 21 et Cass., Crim., 28 juin 1988, n° 87-85.460 : définition prétorienne.

[6] Cass., Civ. 1re, 12 décembre 2000, n° 98-21.311 ; Cass, civ 1re, 25 janvier 2000, n° 97-15.163.

[7] Cass., Civ. 1re, 12 décembre 2000, n° 98-21.311 ; Cass, civ 1re, 25 janvier 2000, n° 97-15.163.

[8] TGI Paris, 21 février 1974, D. 1974. 530, note R. Lindon ; cf. également Cass, Civ. 1re, 21 mars 2006, n° 05-16.817.

[9] Paris, pôle 1, ch. 2, 28 mars 2019, RG n° 18/22.397 ; TGI Nanterre, 15 oct. 2001, Légipresse 2002, I 29.

[10] Cass., Civ. 1re, 7 mars 2006, Bull. civ. I. n° 139.

[11] Cass., Civ. 1re, 4 novembre 2011, n° 10-24.761.

[12] Cf. TGI Paris, 18 mai 2009, Légipresse 2009. I. 113.

[13] Paris, 11e ch., B, 19 octobre 2006, RG n° 05/06562.

[14] Cass, Civ. 1re, 27 février 2007, n° 06-14.273.

[15] §431.143, Pratique du droit de la presse, Christophe Bigot, Dalloz, Hors collection, 2020.

[16] Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 20-13753.

[17] CEDH, 15 janv 2009, Reklos et Davourlis c/ Grèce, n° 1234/05 ; CEDH, 27 mai 2014, De la Flor Cabrera c/ Espagne, n° 10764/09.

[18] TGI Paris, 2 juin 2004, Légipresse 2004, III, p. 156, note Ch. Bigot : la liberté d’expression artistique doit primer à chaque fois que « l’exercice par un individu de son droit à l’image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées qui s’exprime spécialement dans le travail d’artiste » ; CA Paris, 11e ch. sect. A, 5 nov. 2008 ; §423, Dalloz, Répertoire de droit civil : Paris, 5 novembre 2008.

[19] TGI Paris, 9 mai 2007, D. 2008. 57.

[20] Art. 9 et 16 du Code civil ; CA Paris, 11e ch. sect. A, 5 nov. 2008 ; §423, Dalloz, Répertoire de droit civil : Paris, 5 novembre 2008.

[21] CA de Paris, 17eme chambre, 5 novembre 2008, n° 07/10198.

[22] Recueil Dalloz, 2009, p. 470, La liberté de création prévaut, dans certaines limites, sur le droit à l’image, Christophe Bigot.

[23]   TGI de Paris, 2 juin 2004, Ben Salah c/ Delahaye, Agence Magnum, Légipresse 2004. III. 156 et TGI de Paris, 9 mai 2007, n° 06/03296, Chastenet de Puysegur c/ Gallimard et Banier.

Le 17 novembre dernier, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a clos une longue affaire judiciaire, opposant le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de Lorraine à l’Association Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française (AGRIF), celle-ci concernait l’exposition « You are my mirror 1 : L’infamille » du FRAC de Lorraine de 2008. L’AGRIF avait porté plainte contre le FRAC de Lorraine à propos de l’exposition d’une œuvre dont elle estimait qu’elle contrevenait aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal relatif à la diffusion de messages violents ou pornographiques susceptibles d’être perçus par un mineur.

 

L’association considérait qu’une œuvre constituée de dix-neuf fausses lettres manuscrites portait atteinte à la dignité humaine. Ces lettres se composaient notamment des phrases suivantes :  » […] Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […] Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […]  »

 

La Cour de cassation a statué en faveur de la liberté de création artistique, rejetant le pourvoi de l’AGRIF. Elle affirme que la dignité humaine seule ne peut restreindre cette liberté, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Chronologie de l’affaire

 

 

La plainte ayant été classée sans suite, l’AGRIF a intenté une action en indemnisation devant le Tribunal administratif de Strasbourg, qui s’est déclaré incompétent.

 

L’AGRIF a alors assigné la FRAC devant le tribunal de grande instance de Metz en réparation du préjudice causé aux intérêts collectifs qu’elle a pour objet de défendre, en raison d’une atteinte portée à la dignité de la personne humaine protégé par l’article 16 du Code civil. La FRAC à verser symboliquement un euro à l’AGRIF au titre de dommages et intérêts.

 

Cependant, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de Metz en 2017 qui a retenu l’imprécision de l’article 16 du Code civil.

 

En 2018, la Cour de cassation a cassé cette décision, reconnaissant l’article 16 du Code civil comme étant un principe à valeur constitutionnelle[1].

 

En 2021, la Cour d’appel de Paris statuant sur renvoi a rejeté les demandes indemnitaires de l’AGRIF, affirmant que l’atteinte à la dignité humaine dans l’exposition au sein de l’exposition ne pouvait limiter la liberté d’expression.

 

L’AGRIF s’est pourvue en cassation soutenant que :

 

1°/ Le principe du respect de la dignité humaine est absolu et ne peut être mis en balance avec aucun droit fondamental car il en est la substance et le fondement.

 

2°/ La dignité humaine est une composante nécessaire et suffisante de la protection de la morale et de la défense de l’ordre dans une société démocratique.

 

3°/ La cour d’appel aurait dû examiner si les messages litigieux étaient gravement attentatoires à la dignité de la personne humaine.

 

L’arrêt de la Cour de cassation fait prévaloir la liberté de création artistique

 

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que la dignité humaine n’était pas un motif suffisant pour restreindre la liberté de création artistique, composante de la liberté d’expression[2], protégée par l’article 10 § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Conformément aux dispositions de l’article 10 § 2 de la CEDG, elle énonce que : « toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés. ».

Or, la Cour de cassation retient que :

 

  • L’article 16 du Code civil relatif au respect du corps humain ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10 §2 de la CEDH, justifiant la restriction de la liberté d’expression.

 

La décision de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité d’une récente décision du Conseil d’Etat (CE, 14 avr. 2023, n° 472611, Juristes pour l’enfance / Palais de Tokyo) faisant prévaloir la liberté de création et de diffusion artistiques sur l’atteinte à la dignité humaine et à l’intérêt supérieur de l’enfant après avoir prise en compte des conditions d’accès à l’œuvre et du message de l’artiste.

 

***

[1] Civ. 1ère, 26 sept. 2018, n° 17-16.089

[2] CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33

Le 20 avril dernier, dans le cadre d’une action en annulation de la vente pour erreur sur la substance, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt rappelant que la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires trouve une limite dans la négligence fautive du vendeur.

En l’espèce, la propriétaire d’un tableau du XIXème siècle en avait confié la vente aux enchères à un opérateur de ventes volontaires. Le tableau avait été adjugé 50.000 €, puis revendu 90.000 €, et enfin acquis pour un montant de 130.000 € par un particulier.

Les héritiers de la venderesse, soutenant qu’il s’agissait d’une étude du célèbre Radeau de la Méduse de Géricault, ont demandé l’annulation de la vente, en faisant valoir que le consentement de leur mère, qui ignorait que l’œuvre fut d’un auteur célèbre, avait été vicié pour erreur sur la substance et que l’opérateur de ventes volontaires avait engagé sa responsabilité pour faute.

Déboutés en première instance par le tribunal judiciaire de Paris, ils ont interjeté appel en retenant l’erreur excusable de la venderesse.

  1. L’absence d’annulation de la vente

La Cour a rappelé qu’aux termes de l’article 1110 alinéa 1 ancien du Code civil (les faits étaient antérieurs à 2016), l’erreur sur une qualité substantielle de l’œuvre pouvait entraîner la nullité de la vente, le doute sur l’attribution du tableau à Géricault n’interdisant pas l’erreur. Cependant, pour que celle-ci soit une cause d’annulation de la vente, il fallait qu’elle soit excusable.

Or, l’erreur de la venderesse ne l’était pas. La question pourrait se poser de savoir si à la lumière de nouvelles dispositions, à savoir l’article 1132 du Code civil, les juges auraient retenu le caractère excusable de l’erreur, mais il est fort peu probable.

En effet, les archives familiales, en particulier un inventaire de 1918 et un devis de restauration de 1943, auraient dû quand même conduire la venderesse à s’interroger sur une possibilité d’attribution du tableau à Géricault. D’autant qu’elle savait qu’un de ses ancêtres était le peintre Alexandre-Gabriel Decamps, qui avait pu constituer une collection personnelle et dont le frère, critique d’art, s’était positionné comme défenseur de Géricault.

Dans ces circonstances, la Cour a retenu que l’absence de consultation des archives familiales « amèn[ait] à considérer lerreur commise [par la venderesse] comme inexcusable ». Dès lors, l’erreur ne pouvait être considérée comme une cause d’annulation de la vente.

  1. L’absence de responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires

Concernant la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires, les héritiers lui reprochaient de ne pas avoir effectué les recherches appropriées pour identifier le tableau, en recourant notamment à l’assistance d’un expert. L’effervescence engendrée par la vente du tableau, précisaient-ils, aurait dû éveiller sa curiosité et le  conduire à informer la venderesse d’une possible d’attribution du tableau à Géricault.

La Cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal sur ce point et débouté les héritiers de leur demande en retenant l’absence de faute de l’opérateur de ventes volontaires. S’il résulte du recueil des obligations déontologiques qu’il est tenu d’effectuer les recherches appropriées pour identifier le bien, le recours à une expertise n’est pas obligatoire.

De plus, son obligation de recherche doit être appréciée à l’aune des circonstances de la vente et de l’attitude de la mandante ; or, en l’espèce, la venderesse n’avait jamais interrogé le commissaire-priseur sur le tableau litigieux, ni demandé que le tableau soit expertisé. Ses archives familiales – les éléments les plus pertinents qui auraient pu rattacher le tableau litigieux au Radeau de la Méduse – n’avaient été mises en lumière qu’après la vente.

Enfin, les juges ont relevé, que les héritiers ne rapportaient même pas la preuve que l’effervescence engendrée par la vente ait présenté un caractère inhabituel et de nature à conduire l’opérateur de ventes volontaires à solliciter une expertise du tableau.

Pour ces motifs, l’opérateur de ventes volontaires ne pouvait pas être retenu responsable.

***

Il ressort de cette décision que les juges ont opté pour une appréciation in concreto de la responsabilité des opérateurs de ventes volontaires, accordant davantage d’importance aux circonstances de réalisation de la vente. Celles-ci justifient que l’opérateur de ventes volontaires n’ait pas douté de l’anonymat du tableau et donc procédé à des recherches plus approfondies pour en identifier l’origine.

La décision rendue fait ainsi preuve d’une approche pragmatique de la part des juges et s’inscrit dans la suite logique d’un arrêt précédemment rendu le 25 mai 2012 (CA Paris, Pôle 2, chambre 2, 25 mai 2012, n° 10/19852), dans lequel la Cour, tout comme dans le présent d’espèce, avait refusé d’engager la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires au motif que les juges du fond avaient pu en déduire « qu’aucune faute n’était établie à l’encontre du commissaire-priseur, qui, eu égard aux données acquises au moment de la vente, n’avait aucune raison de mettre en doute l’authenticité de l’œuvre, ni par conséquent de procéder à des investigations complémentaires ».

Assurance

Le 30 mars dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt publié au bulletin rappelant que la contrefaçon constitutive d’une faute dolosive exclut toute garantie de l’assureur.

***

En l’espèce, une société spécialisée dans l’architecture d’intérieur, chargée de travaux de décoration auprès de restaurants, a fait l’objet d’une réclamation par les ayants droit d’un designer pour contrefaçon après avoir utilisé, sans autorisation, et auprès d’un large public dans des restaurants au Royaume Uni et en Europe, des reproductions dont la similitude avec les œuvres du designer, était incontestable.

Après avoir déclaré son sinistre, la société d’architecture s’est vue contrainte d’assigner son assureur qui lui refusait sa garantie, en raison de la commission d’une faute dolosive résultant du caractère flagrant et massif de la contrefaçon.

 

Dans le cadre de son pourvoi devant la Cour de cassation, la société d’architecture a soulevé qu’elle n’avait commis aucune faute dolosive, celle-ci supposant, selon les motifs de la cour d’appel, non pas la seule conscience du risque de provoquer un dommage mais la volonté de le dommage et d’en vouloir les conséquences telles qu’elles se sont produites.

Dans un arrêt du 30 mars 2023 (n° 21-21.084), la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en retenant, comme la cour d’appel, que « l’assurée avait commis une faute dolosive, laquelle n’impliquait pas la volonté de son auteur de créer le dommage », mais dispensait son assureur de toute réparation.

Ce faisant, la Cour de cassation confirme que la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré, commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (Civ. 2ème., 20 janvier 2022, n° 20-13.245), et souligne son autonomie par rapport à la faute intentionnelle, celle-ci impliquant la volonté par l’assuré de causer le dommage tel qu’il s’est réalisé.

Cette décision s’inscrit encore dans la suite logique d’un arrêt précédemment rendu le 10 juin 2021 (Civ. 3ème., 10 juin 2021, n° 20-10.774), qui avait déjà clairement affirmé la dualité et l’indépendance des fautes visées par l’article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances.

 

La Cour de cassation rappelle enfin le caractère légal et d’ordre public de l’exclusion des fautes intentionnelle ou dolosive visées par l’article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances : « la croyance que peut avoir l’assuré de ce que le contrat d’assurance couvre la faute qu’il commet n’est pas de nature à écarter l’exclusion légale et d’ordre public des fautes intentionnelles ou dolosives, quelle que soit la police d’assurance souscrite ».

décret du 20 février 2023

Publication du décret d’application de la loi du 28 février 2022 portant création du Conseil des maisons de vente

Le 22 février dernier, le décret n° 2023-119 du 20 février 2023 relatif aux opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et au Conseil des maisons de vente, portant application de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022 visant à moderniser la régulation du marché de l’art, a été publié au Journal officiel de la République française.

Sauf exception [1], ses dispositions sont d’application directe dès son entrée en vigueur, c’est-à-dire, au lendemain de sa publication.

 

La publication du décret du 20 février 2023, qui parachève le processus législatif entamé par l’adoption de la loi du 28 février 2022 précitée, apporte plusieurs précisions quant aux modalités d’application de celle-ci :

 

(1°) La création d’une nouvelle autorité de régulation des ventes aux enchères publiques :

Ainsi que son nom l’indique, le décret marque la création du nouveau « Conseil des maisons de vente » qui remplace le « Conseil de ventes volontaires ».

Si le décret est d’application immédiate, l’ancien Conseil des ventes volontaires sera chargé, en tant qu’institution intérim, d’organiser les premières élections aboutissant à la création définitive du Conseil des maisons de vente (article 33 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023).

Conformément aux dispositions de la loi du 28 février 2022, le décret prévoit que le Conseil des maisons de vente sera désormais composé de :

  • six commissaires-priseurs élus (et non plus trois nommés) parmi deux circonscriptions territoriales, c’est-à-dire, trois exerçant en Île-de-France et trois exerçant hors de l’Île-de-France ;
  • cinq personnalités qualifiées , dont
    • deux nommées par le ministre de la Justice ;
    • deux nommées par les ministre chargé de la Culture ;
    • une nommée par le ministre chargé du Commerce.

Son président est nommé par le ministre de la Justice parmi les membres personnalités qualifiées du Conseil (article L. 321-21 du code de commerce).

Le décret prévoit les modalités pratiques d’élection des six professionnels, membres du Conseil des maisons de vente :

  • Les électeurs et les personnes éligibles sont définies comme : « les opérateurs personnes physiques désignés au I de l’article L. 321-4 [du code de commerce] ainsi que les personnes physiques dirigeants, associés ou salariés d’un opérateur personne morale et habilitées à y diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Dans tous les cas, ces personnes doivent être à jour de leurs obligations administratives à l’égard du Conseil des maisons de vente.» (article R. 321-36-1 nouveau du code de commerce).
  • La tenue de l’élection sera faite à distance par le biais d’un dispositif de vote électronique dont le prestataire doit être choisi et la sécurité assurée par le Conseil des maisons de vente (article 17 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023).

 

(2°) La procédure disciplinaire et les recours possibles

Au sein du Conseil des maisons de vente, le commissaire du Gouvernement et la Commission de sanctions exercent conjointement le pouvoir disciplinaire.

Le commissaire du Gouvernement est un magistrat de l’ordre judiciaire qui instruit les demandes de réclamation à l’encontre des commissaires-priseurs et maisons de vente et engage d’éventuelles procédures disciplinaires (article 26 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023), tout en assurant un rôle de conciliation (articles L. 321-18, 11° et R. 321-45-2 du code de commerce). Il est assisté par un professionnel nommé par arrêté du garde des Sceaux, sur proposition du Conseil (article R. 321-40, 5°  du code de commerce).

En cas de saisine par le commissaire du Gouvernement de la Commission des sanctions [2], cette dernière statue par décision motivée après débat contradictoire et peut prononcer d’éventuelles mesures conservatoires et sanctions en nature et pécuniaires (articles R. 321-46 à -48 et L. 321-23-2, II° du code de commerce).

Les décisions du Conseil des maisons de vente et de la Commission des sanctions peuvent faire l’objet de recours devant la Cour d’appel de Paris ou, en cas de référé, devant son premier président (article L. 321-23-3 du code de commerce).

 

(3°) Les modifications de l’activité et du statut des commissaires-priseurs

Le décret acte la réinstauration du titre de « commissaire-priseur » s’agissant des seules personnes physiques dirigeant les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Il modifie les exigences relatives à la qualification et les modalités du stage d’accès à l’activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (articles 2 et 8 du décret n° 2023-119 du 20 février 2022).

Concernant l’enseignement pratique du stage de deux ans (article R. 321-26 du code de commerce), celui-ci s’effectue désormais uniquement chez un opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, et non plus chez un commissaire de justice ou un courtier de marchandises assermenté. Le stagiaire peut toujours demander à effectuer une partie de cet enseignement chez l’un de ces professionnels mais également auprès d’un notaire, d’un mandataire judiciaire ou d’un administrateur judiciaire (article R. 321-17 code de commerce).

Le décret fixe également les modalités de l’obligation de formation professionnelle continue. Les commissaires-priseurs devront désormais accomplir 20 heures de formation au cours d’une année civile ou 40 heures au cours de deux années consécutives (dont dix heures sur la déontologie et le statut professionnel lors des deux premières années d’exercice) en :

  • assistant à des formations en divers domaines, dont notamment le droit et l’histoire de l’art ;
  • assistant à des formations à caractère technique en divers domaines, dont notamment en graphisme et en développement informatique et web ;
  • assistant à des colloques ou des conférences ayant un lien avec l’activité professionnelle ;
  • dispensant des enseignements ayant un lien avec l’activité professionnelle ;
  • publiant de travaux ayant un lien avec l’activité professionnelle (article R. 321-31-1 nouveau du code de commerce).

Désormais, les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques pourront informer le Conseil des maisons de vente de la tenue d’une vente aux enchères par tout moyen conférant date certaine à sa réception, et non plus obligatoirement par lettre recommandée avec avis de réception (article R. 321-32 nouveau du code de commerce).

 

(4°) L’accès partiel aux activités de vente volontaire de meubles aux enchères publiques par les ressortissants communautaires

Enfin, le décret apporte des précisions sur les conditions de l’accès partiel des ressortissants communautaires et des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen à l’activité d’organisation des ventes aux enchères publiques permis par la loi de 2022 afin de se conformer aux exigences des textes européens de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnels (article 11 de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022).

Il précise en détail les modalités des demandes devant être adressées au Conseil des maisons de vente par téléprocédure sur son site internet, ainsi que les pièces devant accompagner cette demande, dont :

  • une requête sollicitant l’accès partiel ;
  • des documents attestant l’identité et la nationalité de l’auteur de la requête ;
  • des documents permettant de vérifier que le demandeur satisfait aux conditions cumulatives énumérées à l’article L. 321-28-1 nouveau du code de commerce ;
  • une attestation certifiant que l’auteur de la demande répond aux conditions fixées à l’article L. 321-4, I, 2° du code de commerce ;
  • la justification de la souscription des garanties nécessaires à l’exercice de l’activité (article R. 321-68 nouveau du code de commerce).

Le Conseil des maisons de vente se prononce par décision motivée dans un délai de trois mois à compter de la présentation du dossier complet et peut soumettre son autorisation à l’accomplissement d’une épreuve d’aptitude dont les modalités seront fixées par arrêté du garde de Sceaux (articles R. 321-69 et R. 321-55 du code de commerce).

 


[1] Décret n° 2023-119 du 20 février 2023 : « Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication, à l’exception des dispositions de l’article 39 qui entrent en vigueur le 1er mars 2023, et celles de l’article 37 et des 2° et 3° de l’article 38 qui entrent en vigueur le 1er mars 2024. ».

[2] Article. L. 321-23 nouveau du code de commerce : la Commission de sanctions est composée de trois membres nommés par arrêté du le ministre de la Justice :

  • un membre du Conseil d’État ;
  • un conseiller à la Cour de cassation ;
  • une personnalité ayant cessé d’exercer depuis moins de cinq ans l’activité de vente volontaire aux enchères publiques.

Courte citation

Le 8 février dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt publié au bulletin à propos de la licéité de l’exception de courte citation dès lors qu’elle se trouve justifiée par un caractère d’analyse.

 

En l’espèce, l’exécuteur testamentaire en charge de l’exercice du droit moral du compositeur et artiste interprète, Jean Ferrat, décédé le 13 mars 2010, a assigné, conjointement avec sa société de production, en contrefaçon l’éditeur d’un ouvrage dédié à l’artiste qui reproduisait 131 extraits des textes des chansons de l’auteur.

Dans un arrêt du 12 janvier 2021, la cour d’appel de Paris avait rejeté sa demande au motif que : « que, le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur » et que l’éditeur : « avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d’elles était nécessaire à l’analyse critique de la chanson à laquelle se livrait [l’auteur de l’ouvrage] permettant au lecteur de comprendre le sens de l’œuvre évoquée et l’engagement de l’artiste, et que ces citations ne s’inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage qui, richement documenté, s’attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [Jean Ferrat] ».

 

L’exécuteur testamentaire et sa société de production se sont pourvus en cassation.

Dans un arrêt du 8 février 2023 (n°21-23.976), la Cour de cassation rejette leur pourvoi en ne relevant aucune atteinte au droit moral de l’auteur.

Tout d’abord, elle rappelle dans sa motivation que le droit au respect du nom de l’auteur, de sa qualité et de son œuvre prévu à l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et que son exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

Elle énonce que l’exercice du droit moral de l’auteur d’une œuvre de l’esprit cohabite avec les exceptions au droit d’auteur prévues à l’article L. 122-5 du même code et notamment l’exception de courte citation qui permet, sous réserve du respect de l’indication du nom de l’auteur et de la source, une utilisation libre et gratuite de l’œuvre.

La Cour de cassation estime que la divulgation de l’œuvre prive l’auteur de la possibilité d’: « interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source. ».

La Cour de cassation approuve l’arrêt rendu et considère que : « la cour d’appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a ainsi pu accueillir l’exception de courte citation ». Les citations prises individuellement ont été implicitement considérées comme étant suffisamment brèves et leur utilisation justifiée « par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage ».

Mécénat et acquisitions
Gustave Caillebotte, Partie de bateau, Vers 1877-1878, Huile sur toile.
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy.

Le 30 janvier 2023, le tableau « Partie de bateau », également connu sous le nom « Canotier au chapeau haut-de-forme », peint en 1878 par Gustave Caillebotte, a été acquis par le musée d’Orsay [1].

Cette acquisition a été rendue possible grâce au financement du groupe LVMH à hauteur de 43 millions d’euros dans le cadre du dispositif de mécénat d’entreprise visant l’acquisition des trésors nationaux au profit d’une collection publique.

C’est l’occasion de revenir sur les aspects juridiques de ce mécanisme mis en place par la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations et qui permet aux institutions culturelles d’acquérir, de conserver et de protéger le patrimoine culturel et artistique afin de le rendre accessible au public.

 

> Les principales étapes sont les suivantes :

 

1°/ Un propriétaire souhaite vendre une œuvre ou un objet d’art et sollicite un certificat d’exportation [2] auprès du ministère de la Culture.

Si le bien culturel constitue un trésor national défini à l’article L. 111-1 du code du patrimoine comme les biens culturels présentant un intérêt historique, artistique ou archéologique, le ministre de la Culture rend une décision de refus de délivrance d’un certificat d’exportation auquel est joint l’avis motivé de la commission consultative des trésors nationaux composée à parité de représentants de l’Etat et de personnalités qualifiées et présidée par un membre du Conseil d’Etat [3].

Cette décision a pour effet de classer le bien culturel comme trésor national et de l’immobiliser sur le territoire national pendant une période de trente mois avec interdiction de le quitter, sous réserve d’exceptions [4], afin de permettre à l’autorité administrative, de présenter une offre d’achat du trésor national à son propriétaire dans l’intérêt des collections publiques [5].

Dans le cas de l’acquisition de l’œuvre « La Partie de bateau » de Caillebotte, les héritiers de l’artiste ont sollicité en octobre 2019 la délivrance d’un certificat d’exportation afin de vendre la toile [6]. En janvier 2020, l’Etat français a classé l’œuvre comme trésor national en raison de son intérêt majeur pour le patrimoine national et aucun certificat d’exportation n’a été délivré [7].

 

2°/ Lorsque l’Etat décide de présenter une offre [8], celle-ci doit être formulée en respect des prix pratiqués sur le marché international. Le propriétaire du bien peut parfaitement la refuser ou faire procéder à une expertise conjointe pour fixer le prix du bien [9].

Compte tenu des prix des œuvres sur le marché de l’art, les budgets d’acquisition des musées nationaux se révèlent bien souvent insuffisants et le recours au mécénat nécessaire.

Si le propriétaire accepte l’offre d’achat, le paiement du prix doit intervenir dans un délai de six mois à compter de l’accord, à peine de résolution de la vente [10].

Après avoir fait évaluer le tableau de Caillebotte au prix du marché, le ministre de la Culture a formulé une offre d’achat aux propriétaires de l’œuvre. Les parties se sont accordées sur un prix d’achat de 43 millions d’euros.

 

3°/ Pour financier l’acquisition et en application du régime de la commande publique, le ministre de la Culture procède à un appel d’offres en respect du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de mise en concurrence [11].

Celui-ci est publié au Journal Officiel de la République [12]. Les entreprises peuvent alors adresser une offre au ministre de la Culture qui, s’il l’accepte, la transmet au ministre du Budget. Une décision d’acceptation ou de rejet de l’offre est ensuite notifiée à l’entreprise dans le respect de délais précisément déterminés [13].

En cas d’acceptation, les fonds sont versés à la Réunion des musées nationaux [14].

En mars 2022, le ministre de la Culture a procédé à un appel d’offres au mécénat d’entreprise de 43 millions d’euros pour lequel l’offre du groupe LVMH a été retenue.

 

4°/ L’entreprise doit encore satisfaire à certaines exigences prévues par les articles 238 bis-0 A du code général des impôts et L. 122-6 du code du patrimoine afin de pouvoir prétendre à une réduction d’impôt de 90 % :

  • L’entreprise doit être soumise à l’impôt sur les sociétés selon un régime réel d’imposition [15] ;
  • La réduction d’impôt ne peut être supérieure à 50% du montant de l’impôt dû par l’entreprise au titre de cet exercice [16] ;
  • La réduction d’impôt s’applique uniquement sur l’impôt sur les sociétés dû au titre de l’exercice au cours duquel les versements sont acceptés [17] ;
  • Les versements ne sont pas déductibles pour la détermination du bénéfice imposable [18].

En l’espèce, en contrepartie de sa donation de 43 millions d’euros aux fins de l’achat du Caillebotte au bénéfice du Musée d’Orsay, le groupe LVMH bénéficie désormais d’un abattement fiscal de 90 % de la somme versée, soit 38.7 millions d’euros des impôts dus sur la durée de l’exercice en cause.

***

[1] Avis d’appel au mécénat d’entreprise publié au Journal officiel le 25 mars 2022.

[2] Règlement (CEE) n°3911/92 du Conseil, 9 décembre 1992 concernant l’exportation des biens culturels ; Loi n°92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane.

[3] Art. L. 111-4 al. 4 du code du patrimoine ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §512.53.

[4] Art. L. 111-7 du code du patrimoine.

[5] Art. L. 121-1 al. 1 du code du patrimoine ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §512.72.

[6] Avis n° 2019-16 de la Commission consultative des trésors nationaux.

[7] Notification officielle d’acquisition de l’œuvre par le Musée d’Orsay et par le ministère de la Culture.

[8] Art. 171 BA al. 2 du code général des impôts.

[9] Article L. 121-1 du code du patrimoine ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, François Duret-Robert, Dalloz Action, éd. 7, §512.73.

[10] Art. L. 121-1 al. 7 du code du patrimoine.

[11] François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §812.36.

[12] Art. 171 BA al . 1 du code général des impôts.

[13] Art. 171 BB et 171 BC du code général des impôts.

[14] Articles 171 BB et BC du code général des impôts ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §514.11 ; Art. 238 bis-0 A du code général des impôts (tel que modifié par l’article 23 de la loi du 4 janvier 2002, L. n° 2002-5, 4 janvier 2002)

[15] Art. 238 bis-0 A al. 1 du code général des impôts ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, François Duret-Robert, Dalloz Action, éd. 7, §812.11.

[16] Art. 219, I du code général des impôts.

[17] Art. 238 bis-0 A al. 5 du code général des impôts.

[18] Art. 238 bis-0 A, al. 3 du code général des impôts ; François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz Action, éd. 7, §812.22.

Droit pénal de l'art

Dans le cadre de la publication du 36ème numéro de la revue Grasco (Groupe de Recherches – Actions sur la Criminalité Organisée), Anne-Sophie Nardon a proposé une analyse détaillée du cadre législatif pénal français et international applicable aux infractions touchant le marché de l’art.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Le droit pénal de l’art – enjeux et perspectives, revue Grasco n° 36 – janvier 2022

prescription œuvre d'art inauthentique

Le 10 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en nullité fondée sur l’erreur sur la substance dans le cadre de la vente d’une œuvre d’art (CA Paris, pôle 4, ch. 13, 10 janvier 2023, n°20-15.324).

Aux termes de cette décision, elle estime que « le doute avéré sur l’authenticité d’une œuvre d’art suffit à fonder une action en nullité de la vente de sorte que le délai de prescription commence à courir à compter de la connaissance par [l’acquéreur] de ce doute et non à compter de la certitude de l’inauthenticité […] ».

L’action en nullité de la vente pour erreur portant sur l’authenticité d’une œuvre est encadrée par un double délai de prescription :

  • un délai flottant de cinq ans qui court à compter de la découverte de l’erreur sur l’authenticité de l’œuvre (articles 2224 et 1144 du code civil) ;
  • un délai butoir de vingt ans qui court à compter du jour de la conclusion de la vente (article 2232 alinéa 1er du code civil).

Dans sa décision, la Cour d’appel vient préciser une jurisprudence traditionnelle selon laquelle le délai « ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non simplement soupçonnée (Civ. 1re, 31 mai 1972, n° 71-10.571, reprise par la Cour d’appel dans son arrêt du 10 janvier 2023), en estimant qu’il court donc à compter du « jour où l’acquéreur a eu un doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre ».

Elle considère qu’aux fins d’établir ce doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre, il n’est pas nécessaire que l’inauthenticité soit établie de façon irréfutable et certaine. Ainsi, elle écarte la date de dépôt du rapport d’expertise judiciaire au profit de la date à laquelle l’acquéreur a eu connaissance du doute sur l’authenticité de l’œuvre par un expert ayant autorité sur le marché, afin de faire courir le délai.

L’expertise judiciaire qui établit avec certitude la caractère authentique ou apocryphe d’une œuvre au niveau juridique n’est donc pas indispensable pour faire courir le délai de prescription (cf. TGI Paris, 5e ch., 1re sect., 25 sept. 2013, RG n° 08/03229 pour une solution contraire).

En l’espèce, la saisine du juge des référés aux fins de désignation d’un expert judiciaire étant intervenue après l’expiration du délai de prescription, elle n’a pu interrompre le délai d’action prévu à l’article 2241 du Code civil.

Art & Cultural Heritage Law

Dans le cadre de la newsletter du Art & Cultural Heritage Law Comitee de l’American Bar Association, Anne-Sophie Nardon a publié un article revenant sur deux décisions récentes des tribunaux français (Tribunal judiciaire de Rennes, 10 mai 2021, n°17/04478 et Cour d’appel de Paris, 30 septembre 2022, n°20/18194) relatives à l’exception de parodie, notion autonome du droit de l’Union, en matière d’œuvres relevant du courant artistique appropriationniste.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Article publié dans « Art & Cultural Heritage Law Newsletter »