PHOTOGRAPHIE D’UNE ŒUVRE D’ART DANS L’ESPACE PUBLIC ET DROIT D’AUTEUR. LA THEORIE DE « L’ACCESSOIRE » OU DE « L’INCLUSION FORTUITE ».
Peut-on photographier une œuvre d’art graphique ou plastique dans l’espace public ?
👁️ L’application de l’exception de panorama et les œuvres de street art
L’exception de panorama, évoquée dans notre précédent article [1], n’a vocation à s’appliquer qu’aux œuvres architecturales et sculpturales. Elle ne s’applique pas aux œuvres d’art graphiques et plastiques.
C’est notamment ce qu’a rappelé la Cour d’appel de Paris dans son arrêt en date du 5 juillet 2023 [2] infirmant le jugement qui avait appliqué l’exception de panorama à une œuvre de street art. Le litige portait sur les clips de campagne d’un parti politique français ayant reproduit, sans l’autorisation de son auteur, une peinture murale dénommée Marianne asiatique réalisée par l’artiste Combo sur un immeuble situé Boulevard du Temple à Paris. L’artiste avait alors assigné le parti politique en invoquant une violation de son droit d’auteur.
Les juges de première instance ont d’abord retenu une interprétation extensive de l’article L.122-5 alinéa 11 du code de la propriété intellectuelle considérant que l’exception permettait « à toute personne de photographier, filmer, dessiner, etc. les œuvres d’architecture et de sculpture, ainsi que les graffitis dont ils sont éventuellement couverts dès lors qu’ils sont situés en permanence sur la voie publique […] [3] ».
La Cour d’appel a censuré les juges du fond [4]. L’exception de panorama, comme toute exception au droit d’auteur, doit être interprétée strictement.
Or, l’alinéa 11 de l’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle ne vise que les œuvres architecturales ou sculpturales et non les œuvres d’art graphiques ou plastiques.
Ensuite, une œuvre de street art comme la peinture murale de Combo ne peut être considérée comme placée « en permanence sur la voie publique » au sens de l’article L.122-5 alinéa 11 du code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où l’œuvre est constituée de papier collé et est donc particulièrement sensible aux aléas extérieurs.
L’œuvre de street art doit donc, a priori, être regardée comme une œuvre graphique ou plastique et ne peut prétendre au bénéfice de l’exception de panorama.
Cependant, la Cour d’appel laissait entendre qu’une telle œuvre aurait pu bénéficier de la théorie de l’accessoire, si les conditions avaient été réunies en l’espèce. Cette théorie est une limitation au droit exclusif de l’auteur sur son œuvre et permet, sous certaines conditions, de ne pas tomber sous le coup de la contrefaçon lorsqu’une œuvre est reproduite sans l’autorisation de son auteur.
👁️ Qu’est-ce que la théorie de l’accessoire et comment s’applique-t-elle ?
La théorie de « l’accessoire » (ou de « l’inclusion fortuite ») est une création prétorienne dégagée par la Cour de cassation dans la célèbre Affaire de la Place des Terreaux [5], puis définitivement consacrée dans l’arrêt Être et avoir du 12 mai 2011 [6].
Elle permet de reproduire une œuvre protégée, sans l’autorisation de son auteur, dans une photographie, un film, un dessin, etc., et ce, dans la mesure où l’œuvre protégée n’en constitue pas le sujet principal. La raison est d’abord pragmatique : nombreux sont les objets protégés par le droit d’auteur qui peuvent figurer involontairement ou en arrière-plan d’une prise de vue. C’est également une manière de garantir la liberté d’expression et in fine la liberté de création.
📌 A noter : Cette limitation est souvent assimilée à l’une des exceptions au droit d’auteur listées par la Directive de 2001. En effet, l’article 5 § 3, i) autorise les Etats membres à prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction « lorsqu’il s’agit de l’inclusion fortuite d’une œuvre ou d’un autre objet protégé dans un autre produit [7] ».
Toutefois, il est nécessaire de distinguer les notions d’accessoire et d’inclusion fortuite qui n’ont pas strictement le même sens. L’accessoire s’oppose à ce qui est principal ou essentiel, tandis que l’inclusion fortuite renvoie au hasard, à ce qui est involontaire. Un objet peut être accessoire – figurer en arrière-plan par exemple – tout en étant volontairement incorporé dans l’œuvre nouvelle.
❓ Dès lors, faut-il que la reproduction de l’œuvre soit accessoire ou fortuite ?
En fait, la théorie de l’accessoire ou de l’inclusion fortuite implique que la reproduction soit…accessoire et fortuite !
L’inclusion volontaire d’une œuvre préexistante nécessite l’autorisation de son auteur, et ce, quand bien même elle n’apparaitrait que de manière limitée ou comme élément de décor. C’est notamment ce qu’a rappelé récemment la Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 27 septembre 2023 [8].
🏮 En l’espèce, un architecte d’intérieur avait commandé à un sculpteur plasticien plusieurs lampes « lyres » pour aménager notamment un hôtel en Suisse. En 2011, ce même architecte a posté sur ses réseaux sociaux deux photographies le montrant aux côtés d’une de ces lampes. Le sculpteur a intenté une action en contrefaçon et l’architecte a invoqué en défense la théorie de l’accessoire ; la lampe « lyre » figurant dans le décor des deux photographies. Pour la Cour d’appel de Paris, cela n’est cependant pas suffisant, selon elle, la conception retenue dans la Directive de 2001 d’« inclusion fortuite dans un autre produit » doit s’entendre « comme une représentation accessoire et involontaire par rapport au sujet traité ou représenté [9] ».
⚠️ Cette exception est souvent invoquée comme moyen de défense dans les procès en contrefaçon, mais rares sont les cas où les juges admettent le bénéfice d’une telle exception. Or, la reproduction d’une œuvre sans l’autorisation de l’auteur en dehors du cadre des exceptions expose :
- Sur le fondement de la responsabilité civile, à une condamnation à des dommages et intérêts.
- Une peine de trois ans d’emprisonnement et à 300.000 € d’amende [10], la contrefaçon constituant un délit.
📸 Voici quelques exemples concrets pour vous aider à vous y retrouver :
Des œuvres de street art figurent sur vos photographies de rue :
👾 L’œuvre de street art est une œuvre d’art graphique ou plastique protégée par le droit d’auteur, et à ce titre, vous pouvez bénéficier de l’exception de l’accessoire :
- Si l’œuvre qui apparaît est accessoire par rapport au sujet représenté ou traité dans la prise de vue.
- Si l’œuvre apparaît fortuitement par rapport au sujet représenté ou traité dans la prise de vue
Vous réalisez des prises de vue incluant des œuvres placées sur la voie publique, comme la Fontaine Stravinsky de Nikki de Saint Phalle et Jean Tinguely :
Dans la mesure où la Fontaine Stravinsky est une œuvre sculpturale placée en permanence sur la voie publique, c’est l’exception de panorama qui aura vocation à s’appliquer et non pas la théorie de l’accessoire. En revanche, si l’œuvre sculpturale n’était pas placée de manière pérenne – par exemple à l’occasion d’une exposition temporaire – c’est la théorie de l’accessoire qui viendrait à s’appliquer !
Vous réalisez des prises de vue dans un musée :
La théorie de l’accessoire a vocation à s’appliquer même dans les espaces intérieurs [11]. Là encore, vous devez vous demander si vous rentrez dans le cadre de la théorie de l’accessoire.
💡 Si les œuvres sont dans le domaine public, vous n’aurez pas besoin de l’autorisation des ayants-droits pour filmer les œuvres, mais seulement de l’autorisation du musée pour tourner dans les locaux [12]. Pour cela, rapprochez-vous des services dédiés du musée concerné.
Nous vous remercions pour la lecture de ce dernier article du Focus n°1.
[1] Notre précédent article sur l’exception de panorama est disponible en suivant ce lien.
[2] Paris, 5 juillet 2023, n°21/11317.
[3] TGI Paris, 3e ch., 1ère section, 21 janvier 2021.
[4] Paris, 5 juillet 2023, n°21/11317.
[5] Cass, 1ère civ., 15 mars 2005, n° 03-14.820.
[6] Cass. 1ère civ., 12 mai 2011, n° 08-20.651.
[7] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, 5 § 3, i).
[8] Cour d’appel de Paris, 27 septembre 2023 n°21/12348.
[9] Ibid.
[10] Article 335-2 du code pénal.
[11] C’est notamment ce qu’avait consacré l’arrêt Être et avoir suscité.
[12] C’est généralement la formule consacrée par les musées lorsque vous envisagez de réaliser des photographies à titre professionnel ou commercial. Voir, à titre d’illustration, les modalités prescrites par le Musée d’Orsay.