Droit pénal de l'art

Dans le cadre de la publication du 36ème numéro de la revue Grasco (Groupe de Recherches – Actions sur la Criminalité Organisée), Anne-Sophie Nardon a proposé une analyse détaillée du cadre législatif pénal français et international applicable aux infractions touchant le marché de l’art.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Le droit pénal de l’art – enjeux et perspectives, revue Grasco n° 36 – janvier 2022

prescription œuvre d'art inauthentique

Le 10 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en nullité fondée sur l’erreur sur la substance dans le cadre de la vente d’une œuvre d’art (CA Paris, pôle 4, ch. 13, 10 janvier 2023, n°20-15.324).

Aux termes de cette décision, elle estime que « le doute avéré sur l’authenticité d’une œuvre d’art suffit à fonder une action en nullité de la vente de sorte que le délai de prescription commence à courir à compter de la connaissance par [l’acquéreur] de ce doute et non à compter de la certitude de l’inauthenticité […] ».

L’action en nullité de la vente pour erreur portant sur l’authenticité d’une œuvre est encadrée par un double délai de prescription :

  • un délai flottant de cinq ans qui court à compter de la découverte de l’erreur sur l’authenticité de l’œuvre (articles 2224 et 1144 du code civil) ;
  • un délai butoir de vingt ans qui court à compter du jour de la conclusion de la vente (article 2232 alinéa 1er du code civil).

Dans sa décision, la Cour d’appel vient préciser une jurisprudence traditionnelle selon laquelle le délai « ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non simplement soupçonnée (Civ. 1re, 31 mai 1972, n° 71-10.571, reprise par la Cour d’appel dans son arrêt du 10 janvier 2023), en estimant qu’il court donc à compter du « jour où l’acquéreur a eu un doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre ».

Elle considère qu’aux fins d’établir ce doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre, il n’est pas nécessaire que l’inauthenticité soit établie de façon irréfutable et certaine. Ainsi, elle écarte la date de dépôt du rapport d’expertise judiciaire au profit de la date à laquelle l’acquéreur a eu connaissance du doute sur l’authenticité de l’œuvre par un expert ayant autorité sur le marché, afin de faire courir le délai.

L’expertise judiciaire qui établit avec certitude la caractère authentique ou apocryphe d’une œuvre au niveau juridique n’est donc pas indispensable pour faire courir le délai de prescription (cf. TGI Paris, 5e ch., 1re sect., 25 sept. 2013, RG n° 08/03229 pour une solution contraire).

En l’espèce, la saisine du juge des référés aux fins de désignation d’un expert judiciaire étant intervenue après l’expiration du délai de prescription, elle n’a pu interrompre le délai d’action prévu à l’article 2241 du Code civil.

Art & Cultural Heritage Law

Dans le cadre de la newsletter du Art & Cultural Heritage Law Comitee de l’American Bar Association, Anne-Sophie Nardon a publié un article revenant sur deux décisions récentes des tribunaux français (Tribunal judiciaire de Rennes, 10 mai 2021, n°17/04478 et Cour d’appel de Paris, 30 septembre 2022, n°20/18194) relatives à l’exception de parodie, notion autonome du droit de l’Union, en matière d’œuvres relevant du courant artistique appropriationniste.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Article publié dans « Art & Cultural Heritage Law Newsletter »

Indemnisation perte de jouissance

Conseil d’Etat, 22 juillet 2022, n°458590

Le bien concerné est un manuscrit de la fin du XVème siècle comportant un texte de Saint Thomas d’Aquin, acquis en 1901 lors d’une vente aux enchères par une personne privée puis transmis par voie successorale. Depuis 1991, le manuscrit était à disposition du public au sein d’archives départementales.

En 2016, le propriétaire se voit refuser sa demande de certificat d’exportation au motif que le bien appartenait au domaine public, par l’effet d’un décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789 ayant placé tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation.

L’appartenance au domaine public est confirmée, mais le détenteur de bonne foi du manuscrit, contraint de restituer le bien, engage alors une action en responsabilité à l’encontre de l’Etat afin d’obtenir la réparation du préjudice moral et financier subi. La cour administrative d’appel ayant fait droit à cette demande, le ministre de la Culture s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.

S’il est acquis que l’imprescriptibilité s’oppose à la contestation de la restitution d’un bien relevant du domaine public (L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques), y compris si le détenteur est de bonne foi, cet arrêt permet d’aborder la question de la réparation du préjudice au regard de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme qui garantit le droit au respect des biens.

Selon, le Conseil d’Etat, il découle de ces dispositions que : « le détenteur de bonne foi d’un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d’un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi » (§3).

En l’espèce, compte tenu de la durée et des conditions de la détention de bonne foi du manuscrit par la famille du requérant ainsi que de l‘attitude des pouvoirs publics qui n’en ont jamais revendiqué la propriété (jusqu’à la vente aux enchères de 2018 alors qu’ils le pouvaient depuis le dépôt aux archives départementales en 1991), le Conseil d’Etat a reconnu que le requérant disposait « d’un intérêt patrimonial à en jouir suffisamment reconnu et important » dont la privation constituait, en l’espèce, « une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ». Dès lors, « l’intérêt public majeur qui s’attachait à la restitution à l’État de cette œuvre d’art n’excluait pas, par principe, le versement à son détenteur d’une indemnité en réparation du préjudice résultant de cette perte de jouissance ».

Enfin, l’arrêt précisait encore que si le détenteur de bonne foi tenu à l’obligation de restitution n’avait pu justifier d’une telle « charge spéciale et exorbitante », il aurait néanmoins pu prétendre, « le cas échéant, à l’indemnisation des dépenses nécessaires à la conservation du bien » ainsi que « en cas de faute de l’administration, à l’indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute ».

NFT

Le 12 juillet dernier, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CLSPA) remettait au ministère de la Culture un rapport dédié aux NFT ayant pour sous-titre « sécuriser le cadre juridique pour libérer les usages ». La mission de ses auteurs, Jean Martin, avocat à la Cour et Pauline Hot, maître des requêtes au conseil d’Etat, était de « fournir un état des lieux permettant d’identifier, d’analyser et d’évaluer le phénomène des NFT dans ses divers aspects juridiques, notamment au prisme des droits d’auteur ».

Pour rappel, les NFT sont des jetons échangeables sur une blockchain – technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe central de contrôle – en cryptomonnaies ou en devises et qui constituent une forme de certificat de propriété associé à un objet numérique ou à un double digital d’un actif physique.

Dans le secteur du marché de l’art, l’année 2021 fut celle de l’émergence des NFT avec la première adjudication, par la maison de ventes aux enchères Christie’s, d’une œuvre digitale NFT – «Everydays : The first 5000 days» de l’artiste américain Beeple – ayant atteint la somme de 69,3 millions de dollars.

Depuis, les usages des NFT se sont multipliés dans les domaines culturels et créatifs : nouveau moyen d’acquisition pour les collectionneurs, nouveau médium pour les artistes, atout pour la traçabilité des œuvres pour le marché de l’art, ou encore, nouvel instrument de levée de fonds pour le mécénat des institutions culturelles, …

Pourtant, leur appréhension par le droit demeure progressive et soulève de multiples problématiques juridiques examinées au sein de cet éclairant rapport.

  • Une définition juridique en construction

Dans leur rapport, les auteurs ont écarté les qualifications juridiques inopportunes. Ainsi, un NFT ne saurait être confondu avec un jeton tel qu’il est défini par le code monétaire et financier , avec une œuvre de l’esprit au sens de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ou encore avec un certificat d’authenticité.

Jean Martin et Pauline Hot retiennent la définition suivante : le NFT est assimilable à un bien meuble incorporel correspondant à un : « titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain […] dont l’objet, la nature et l’étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur » . Plus précisément, ces caractéristiques – objet, nature, étendue – dépendent des prévisions des « smart contract » , c’est-à-dire des « programmes informatiques qui associés à un jeton d’une blockchain lui confère des propriétés et des fonctions qui les rendent uniques ».

  • Risques liés au manque d’encadrement juridique des NFT

Le NFT demeure un « objet juridique non identifié » dont il est complexe de définir avec précision et certitude le régime devant lui être appliqué. Toutefois, les auteurs du rapport se sont attelés à en dresser un état des lieux exhaustif des potentiels risques juridiques (droit pénal, droit administratif des biens, droit de la consommation, droit fiscal, …).

En ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle, ils retiennent notamment les enjeux suivants :

L’identification du titulaire de droit

Cette difficulté a d’ores et déjà nourri un important contentieux. En effet, l’existence de contrats antérieurs de cession totale ou partielle de droits ou l’existence d’ayants-droit multiples peut poser des difficultés pour la production de NFT. A ce titre, le rapport cite l’exemple du petit-fils d’August Sanders, ayant émis des NFT sur la collection de photographies de son grand-père, poursuivi en justice par la fondation SK Stiftung Kultur qui revendique la titularité des droits jusqu’en 2034 .

Les potentielles atteintes au droit d’auteur lors de l’émission d’un NFT

L’émission d’un NFT nécessite impérativement l’accord de l’auteur de l’œuvre faisant l’objet du fichier numérique créé (ou de ses ayants-droit) au titre des droits de reproduction et de représentation.

Une potentielle atteinte au droit moral pourrait par ailleurs être constituée s’il était retenu par la jurisprudence que la production de NFT eût éventuellement « dénaturé » l’œuvre protégée.

Les risques d’atteintes aux droits patrimoniaux lors des cessions et reventes

En principe, l’acquisition d’un NFT ne confère à l’acheteur aucun droit de nature patrimoniale sur l’œuvre. En l’absence de cession ou de licence contractuelles des droits patrimoniaux – dont l’intégration dans le « smart contract » pose des difficultés techniques selon les auteurs en raison du formalisme imposés par les articles L. 131-2 et L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle –, le NFT donne un simple accès personnel au fichier ce qui peut se révéler déceptif pour l’acquéreur.

Le droit de suite soulève également des problématiques spécifiques. A première vue, sa collecte pourrait être automatisée. Ce procédé demeure à ce jour relativement théorique compte tenu des conditions restrictives qui entourent l’application de ce droit. Par exemple, il est nécessaire qu’un professionnel du marché de l’art intervienne dans la vente : condition difficilement vérifiable via le « smart contract » associé au NFT.

***

Les auteurs du rapport concluent que les dispositions du code de la propriété intellectuelle trouvent à s’appliquer sans difficultés insurmontables : les NFT ne s’inscrivent donc pas dans un véritable « vide juridique ». Toutefois, ils préconisent quelques améliorations pour sécuriser le cadre juridique des NFT.

  • Pistes de sécurisation juridique envisagées

Afin de sécuriser l’utilisation des NFT et pour inciter au développement d’usages vertueux et non spéculatifs, Jean Martin et Pauline Hot achèvent leur rapport par 20 propositions parmi lesquelles :

– celle d’engager une réflexion sur les modalités techniques permettant d’assurer l’effectivité des décisions judiciaires pour lutter contre la contrefaçon, et ce, compte tenu du caractère a priori immuable de la blockchain ;

– de diffuser une documentation pédagogique simplifiée sur le droit d’auteur à destination notamment des plateformes de vente de NFT ;

– ou encore d’engager une réflexion sur la mise en œuvre d’une fiscalité adaptée à l’art numérique.

La publication de ce rapport invite les pouvoirs publics à s’emparer de la question des NFT en prenant en compte les aspects juridiques, socio-économiques et écologiques, pour permettre d’atteindre toutes leur potentialité dans le domaine de la culture et du marché de l’art.

Warhol

Le 3 octobre prochain, la Cour suprême des Etats-Unis rendra sa décision dans le litige opposant la Fondation Andy Warhol et la photographe Lynn Goldsmith à propos de l’utilisation d’une photographie du chanteur Prince pour une série de sérigraphies.

Au même titre que de nombreux artistes (Sherry Levine, Jeff Koons, Marcel Duchamp etc.), Andy Warhol est un adepte de « l’art transformatif » ou « appropriation art » qui consiste à créer une œuvre nouvelle en s’inspirant ou en reproduisant des œuvres préexistantes.

Cette pratique artistique pose la question de l’application de la doctrine américaine du « fair use » selon laquelle un artiste peut reprendre, sans autorisation de l’auteur, tout ou partie d’une œuvre préexistante tant que cet usage demeure « loyal ».

En 2019, le tribunal avait jugé établie l’existence d’un « fair use ». En 2021, la cour d’appel a adopté une position inverse en retenant la violation des droits d’auteur de la photographe Lynn Goldsmith. Pour la première fois, la Cour suprême devrait venir préciser les critères d’appréciation future du « fair use » dans les arts graphiques.

Parmi les institutions ayant déposé un mémoire, l’U.S. Copyright Office a fait valoir que l’œuvre de Warhol ne devrait pas être considérée comme transformative car, le cas échéant, « d’innombrables utilisations secondaires qui nécessitent actuellement une licence seraient présumées loyales » [traduction libre]. Pour appuyer sa position, l’U.S Copyright Office se réfère notamment à un arrêt de la Cour Suprême de 1989 Campbell v. Acuff-Rose Music qui a retenu que les utilisations : « pour attirer l’attention ou pour éviter le travail laborieux d’élaborer quelque chose de nouveau » [traduction libre] auront plus de mal à prétendre au bénéfice du « fair use ».

 

Sources :

Second Circ. Fair Use Doctrine in Andy Warhol Foundation v Goldsmith (natlawreview.com)

Barbara Kruger, Robert Storr, and the U.S. Copyright Office Have Filed Briefs in the Supreme Court’s Historic Andy Warhol Copyright Case | Artnet News

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Caractères de l'œuvre

 

Droit moral

 

Exportation biens culturels

Un décret en date du 28 décembre 2020, entré en vigueur le 1er janvier 2021, a relevé les seuils de certaines catégories de biens culturels nécessitant un certificat d’exportation pour sortir du territoire français. Ce décret vise à adapter les seuils d’exportation aux évolutions de prix qu’a connu le marché de l’art.

Parmi les changements notables opérés par le décret du 28 décembre 2020 figurent :

  • les peintures et tableaux de plus de 50 ans d’âge, dont le seuil passe de 150.000 à 300.000 euros ;
  • les dessins de plus de 50 ans d’âge, dont le seuil passe de 15.000 à 30.000 euros ;
  • les gravures, estampes, sérigraphies et lithographies originales dont le seuil passe de 15.000 à 20.000 euros ;
  • les sculptures originales de plus de 50 ans d’âge dont le seuil passe de 50.000 à 100.000 euros ;
  • les photographies de plus de 50 ans d’âge dont le seuil passe de 15.000 à 25.000 euros.

En relevant ces seuils de valeur, l’Etat entend réduire le nombre de biens culturels soumis à autorisation d’exportation et ainsi faciliter la circulation des biens culturels et, dans le même temps, son travail d’identification des trésors nationaux.

Lien vers le décret n°2020-1718 du 28 décembre 2020 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/texte_jo/JORFTEXT000042748770