Le 17 novembre dernier, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a clos une longue affaire judiciaire, opposant le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de Lorraine à l’Association Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française (AGRIF), celle-ci concernait l’exposition « You are my mirror 1 : L’infamille » du FRAC de Lorraine de 2008. L’AGRIF avait porté plainte contre le FRAC de Lorraine à propos de l’exposition d’une œuvre dont elle estimait qu’elle contrevenait aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal relatif à la diffusion de messages violents ou pornographiques susceptibles d’être perçus par un mineur.

 

L’association considérait qu’une œuvre constituée de dix-neuf fausses lettres manuscrites portait atteinte à la dignité humaine. Ces lettres se composaient notamment des phrases suivantes :  » […] Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […] Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […]  »

 

La Cour de cassation a statué en faveur de la liberté de création artistique, rejetant le pourvoi de l’AGRIF. Elle affirme que la dignité humaine seule ne peut restreindre cette liberté, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Chronologie de l’affaire

 

 

La plainte ayant été classée sans suite, l’AGRIF a intenté une action en indemnisation devant le Tribunal administratif de Strasbourg, qui s’est déclaré incompétent.

 

L’AGRIF a alors assigné la FRAC devant le tribunal de grande instance de Metz en réparation du préjudice causé aux intérêts collectifs qu’elle a pour objet de défendre, en raison d’une atteinte portée à la dignité de la personne humaine protégé par l’article 16 du Code civil. La FRAC à verser symboliquement un euro à l’AGRIF au titre de dommages et intérêts.

 

Cependant, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de Metz en 2017 qui a retenu l’imprécision de l’article 16 du Code civil.

 

En 2018, la Cour de cassation a cassé cette décision, reconnaissant l’article 16 du Code civil comme étant un principe à valeur constitutionnelle[1].

 

En 2021, la Cour d’appel de Paris statuant sur renvoi a rejeté les demandes indemnitaires de l’AGRIF, affirmant que l’atteinte à la dignité humaine dans l’exposition au sein de l’exposition ne pouvait limiter la liberté d’expression.

 

L’AGRIF s’est pourvue en cassation soutenant que :

 

1°/ Le principe du respect de la dignité humaine est absolu et ne peut être mis en balance avec aucun droit fondamental car il en est la substance et le fondement.

 

2°/ La dignité humaine est une composante nécessaire et suffisante de la protection de la morale et de la défense de l’ordre dans une société démocratique.

 

3°/ La cour d’appel aurait dû examiner si les messages litigieux étaient gravement attentatoires à la dignité de la personne humaine.

 

L’arrêt de la Cour de cassation fait prévaloir la liberté de création artistique

 

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que la dignité humaine n’était pas un motif suffisant pour restreindre la liberté de création artistique, composante de la liberté d’expression[2], protégée par l’article 10 § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Conformément aux dispositions de l’article 10 § 2 de la CEDG, elle énonce que : « toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés. ».

Or, la Cour de cassation retient que :

 

  • L’article 16 du Code civil relatif au respect du corps humain ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10 §2 de la CEDH, justifiant la restriction de la liberté d’expression.

 

La décision de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité d’une récente décision du Conseil d’Etat (CE, 14 avr. 2023, n° 472611, Juristes pour l’enfance / Palais de Tokyo) faisant prévaloir la liberté de création et de diffusion artistiques sur l’atteinte à la dignité humaine et à l’intérêt supérieur de l’enfant après avoir prise en compte des conditions d’accès à l’œuvre et du message de l’artiste.

 

***

[1] Civ. 1ère, 26 sept. 2018, n° 17-16.089

[2] CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33

Le 20 avril dernier, dans le cadre d’une action en annulation de la vente pour erreur sur la substance, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt rappelant que la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires trouve une limite dans la négligence fautive du vendeur.

En l’espèce, la propriétaire d’un tableau du XIXème siècle en avait confié la vente aux enchères à un opérateur de ventes volontaires. Le tableau avait été adjugé 50.000 €, puis revendu 90.000 €, et enfin acquis pour un montant de 130.000 € par un particulier.

Les héritiers de la venderesse, soutenant qu’il s’agissait d’une étude du célèbre Radeau de la Méduse de Géricault, ont demandé l’annulation de la vente, en faisant valoir que le consentement de leur mère, qui ignorait que l’œuvre fut d’un auteur célèbre, avait été vicié pour erreur sur la substance et que l’opérateur de ventes volontaires avait engagé sa responsabilité pour faute.

Déboutés en première instance par le tribunal judiciaire de Paris, ils ont interjeté appel en retenant l’erreur excusable de la venderesse.

  1. L’absence d’annulation de la vente

La Cour a rappelé qu’aux termes de l’article 1110 alinéa 1 ancien du Code civil (les faits étaient antérieurs à 2016), l’erreur sur une qualité substantielle de l’œuvre pouvait entraîner la nullité de la vente, le doute sur l’attribution du tableau à Géricault n’interdisant pas l’erreur. Cependant, pour que celle-ci soit une cause d’annulation de la vente, il fallait qu’elle soit excusable.

Or, l’erreur de la venderesse ne l’était pas. La question pourrait se poser de savoir si à la lumière de nouvelles dispositions, à savoir l’article 1132 du Code civil, les juges auraient retenu le caractère excusable de l’erreur, mais il est fort peu probable.

En effet, les archives familiales, en particulier un inventaire de 1918 et un devis de restauration de 1943, auraient dû quand même conduire la venderesse à s’interroger sur une possibilité d’attribution du tableau à Géricault. D’autant qu’elle savait qu’un de ses ancêtres était le peintre Alexandre-Gabriel Decamps, qui avait pu constituer une collection personnelle et dont le frère, critique d’art, s’était positionné comme défenseur de Géricault.

Dans ces circonstances, la Cour a retenu que l’absence de consultation des archives familiales « amèn[ait] à considérer lerreur commise [par la venderesse] comme inexcusable ». Dès lors, l’erreur ne pouvait être considérée comme une cause d’annulation de la vente.

  1. L’absence de responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires

Concernant la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires, les héritiers lui reprochaient de ne pas avoir effectué les recherches appropriées pour identifier le tableau, en recourant notamment à l’assistance d’un expert. L’effervescence engendrée par la vente du tableau, précisaient-ils, aurait dû éveiller sa curiosité et le  conduire à informer la venderesse d’une possible d’attribution du tableau à Géricault.

La Cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal sur ce point et débouté les héritiers de leur demande en retenant l’absence de faute de l’opérateur de ventes volontaires. S’il résulte du recueil des obligations déontologiques qu’il est tenu d’effectuer les recherches appropriées pour identifier le bien, le recours à une expertise n’est pas obligatoire.

De plus, son obligation de recherche doit être appréciée à l’aune des circonstances de la vente et de l’attitude de la mandante ; or, en l’espèce, la venderesse n’avait jamais interrogé le commissaire-priseur sur le tableau litigieux, ni demandé que le tableau soit expertisé. Ses archives familiales – les éléments les plus pertinents qui auraient pu rattacher le tableau litigieux au Radeau de la Méduse – n’avaient été mises en lumière qu’après la vente.

Enfin, les juges ont relevé, que les héritiers ne rapportaient même pas la preuve que l’effervescence engendrée par la vente ait présenté un caractère inhabituel et de nature à conduire l’opérateur de ventes volontaires à solliciter une expertise du tableau.

Pour ces motifs, l’opérateur de ventes volontaires ne pouvait pas être retenu responsable.

***

Il ressort de cette décision que les juges ont opté pour une appréciation in concreto de la responsabilité des opérateurs de ventes volontaires, accordant davantage d’importance aux circonstances de réalisation de la vente. Celles-ci justifient que l’opérateur de ventes volontaires n’ait pas douté de l’anonymat du tableau et donc procédé à des recherches plus approfondies pour en identifier l’origine.

La décision rendue fait ainsi preuve d’une approche pragmatique de la part des juges et s’inscrit dans la suite logique d’un arrêt précédemment rendu le 25 mai 2012 (CA Paris, Pôle 2, chambre 2, 25 mai 2012, n° 10/19852), dans lequel la Cour, tout comme dans le présent d’espèce, avait refusé d’engager la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires au motif que les juges du fond avaient pu en déduire « qu’aucune faute n’était établie à l’encontre du commissaire-priseur, qui, eu égard aux données acquises au moment de la vente, n’avait aucune raison de mettre en doute l’authenticité de l’œuvre, ni par conséquent de procéder à des investigations complémentaires ».

décret du 20 février 2023

Publication du décret d’application de la loi du 28 février 2022 portant création du Conseil des maisons de vente

Le 22 février dernier, le décret n° 2023-119 du 20 février 2023 relatif aux opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et au Conseil des maisons de vente, portant application de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022 visant à moderniser la régulation du marché de l’art, a été publié au Journal officiel de la République française.

Sauf exception [1], ses dispositions sont d’application directe dès son entrée en vigueur, c’est-à-dire, au lendemain de sa publication.

 

La publication du décret du 20 février 2023, qui parachève le processus législatif entamé par l’adoption de la loi du 28 février 2022 précitée, apporte plusieurs précisions quant aux modalités d’application de celle-ci :

 

(1°) La création d’une nouvelle autorité de régulation des ventes aux enchères publiques :

Ainsi que son nom l’indique, le décret marque la création du nouveau « Conseil des maisons de vente » qui remplace le « Conseil de ventes volontaires ».

Si le décret est d’application immédiate, l’ancien Conseil des ventes volontaires sera chargé, en tant qu’institution intérim, d’organiser les premières élections aboutissant à la création définitive du Conseil des maisons de vente (article 33 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023).

Conformément aux dispositions de la loi du 28 février 2022, le décret prévoit que le Conseil des maisons de vente sera désormais composé de :

  • six commissaires-priseurs élus (et non plus trois nommés) parmi deux circonscriptions territoriales, c’est-à-dire, trois exerçant en Île-de-France et trois exerçant hors de l’Île-de-France ;
  • cinq personnalités qualifiées , dont
    • deux nommées par le ministre de la Justice ;
    • deux nommées par les ministre chargé de la Culture ;
    • une nommée par le ministre chargé du Commerce.

Son président est nommé par le ministre de la Justice parmi les membres personnalités qualifiées du Conseil (article L. 321-21 du code de commerce).

Le décret prévoit les modalités pratiques d’élection des six professionnels, membres du Conseil des maisons de vente :

  • Les électeurs et les personnes éligibles sont définies comme : « les opérateurs personnes physiques désignés au I de l’article L. 321-4 [du code de commerce] ainsi que les personnes physiques dirigeants, associés ou salariés d’un opérateur personne morale et habilitées à y diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Dans tous les cas, ces personnes doivent être à jour de leurs obligations administratives à l’égard du Conseil des maisons de vente.» (article R. 321-36-1 nouveau du code de commerce).
  • La tenue de l’élection sera faite à distance par le biais d’un dispositif de vote électronique dont le prestataire doit être choisi et la sécurité assurée par le Conseil des maisons de vente (article 17 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023).

 

(2°) La procédure disciplinaire et les recours possibles

Au sein du Conseil des maisons de vente, le commissaire du Gouvernement et la Commission de sanctions exercent conjointement le pouvoir disciplinaire.

Le commissaire du Gouvernement est un magistrat de l’ordre judiciaire qui instruit les demandes de réclamation à l’encontre des commissaires-priseurs et maisons de vente et engage d’éventuelles procédures disciplinaires (article 26 du décret n° 2023-119 du 20 février 2023), tout en assurant un rôle de conciliation (articles L. 321-18, 11° et R. 321-45-2 du code de commerce). Il est assisté par un professionnel nommé par arrêté du garde des Sceaux, sur proposition du Conseil (article R. 321-40, 5°  du code de commerce).

En cas de saisine par le commissaire du Gouvernement de la Commission des sanctions [2], cette dernière statue par décision motivée après débat contradictoire et peut prononcer d’éventuelles mesures conservatoires et sanctions en nature et pécuniaires (articles R. 321-46 à -48 et L. 321-23-2, II° du code de commerce).

Les décisions du Conseil des maisons de vente et de la Commission des sanctions peuvent faire l’objet de recours devant la Cour d’appel de Paris ou, en cas de référé, devant son premier président (article L. 321-23-3 du code de commerce).

 

(3°) Les modifications de l’activité et du statut des commissaires-priseurs

Le décret acte la réinstauration du titre de « commissaire-priseur » s’agissant des seules personnes physiques dirigeant les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Il modifie les exigences relatives à la qualification et les modalités du stage d’accès à l’activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (articles 2 et 8 du décret n° 2023-119 du 20 février 2022).

Concernant l’enseignement pratique du stage de deux ans (article R. 321-26 du code de commerce), celui-ci s’effectue désormais uniquement chez un opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, et non plus chez un commissaire de justice ou un courtier de marchandises assermenté. Le stagiaire peut toujours demander à effectuer une partie de cet enseignement chez l’un de ces professionnels mais également auprès d’un notaire, d’un mandataire judiciaire ou d’un administrateur judiciaire (article R. 321-17 code de commerce).

Le décret fixe également les modalités de l’obligation de formation professionnelle continue. Les commissaires-priseurs devront désormais accomplir 20 heures de formation au cours d’une année civile ou 40 heures au cours de deux années consécutives (dont dix heures sur la déontologie et le statut professionnel lors des deux premières années d’exercice) en :

  • assistant à des formations en divers domaines, dont notamment le droit et l’histoire de l’art ;
  • assistant à des formations à caractère technique en divers domaines, dont notamment en graphisme et en développement informatique et web ;
  • assistant à des colloques ou des conférences ayant un lien avec l’activité professionnelle ;
  • dispensant des enseignements ayant un lien avec l’activité professionnelle ;
  • publiant de travaux ayant un lien avec l’activité professionnelle (article R. 321-31-1 nouveau du code de commerce).

Désormais, les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques pourront informer le Conseil des maisons de vente de la tenue d’une vente aux enchères par tout moyen conférant date certaine à sa réception, et non plus obligatoirement par lettre recommandée avec avis de réception (article R. 321-32 nouveau du code de commerce).

 

(4°) L’accès partiel aux activités de vente volontaire de meubles aux enchères publiques par les ressortissants communautaires

Enfin, le décret apporte des précisions sur les conditions de l’accès partiel des ressortissants communautaires et des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen à l’activité d’organisation des ventes aux enchères publiques permis par la loi de 2022 afin de se conformer aux exigences des textes européens de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnels (article 11 de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022).

Il précise en détail les modalités des demandes devant être adressées au Conseil des maisons de vente par téléprocédure sur son site internet, ainsi que les pièces devant accompagner cette demande, dont :

  • une requête sollicitant l’accès partiel ;
  • des documents attestant l’identité et la nationalité de l’auteur de la requête ;
  • des documents permettant de vérifier que le demandeur satisfait aux conditions cumulatives énumérées à l’article L. 321-28-1 nouveau du code de commerce ;
  • une attestation certifiant que l’auteur de la demande répond aux conditions fixées à l’article L. 321-4, I, 2° du code de commerce ;
  • la justification de la souscription des garanties nécessaires à l’exercice de l’activité (article R. 321-68 nouveau du code de commerce).

Le Conseil des maisons de vente se prononce par décision motivée dans un délai de trois mois à compter de la présentation du dossier complet et peut soumettre son autorisation à l’accomplissement d’une épreuve d’aptitude dont les modalités seront fixées par arrêté du garde de Sceaux (articles R. 321-69 et R. 321-55 du code de commerce).

 


[1] Décret n° 2023-119 du 20 février 2023 : « Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication, à l’exception des dispositions de l’article 39 qui entrent en vigueur le 1er mars 2023, et celles de l’article 37 et des 2° et 3° de l’article 38 qui entrent en vigueur le 1er mars 2024. ».

[2] Article. L. 321-23 nouveau du code de commerce : la Commission de sanctions est composée de trois membres nommés par arrêté du le ministre de la Justice :

  • un membre du Conseil d’État ;
  • un conseiller à la Cour de cassation ;
  • une personnalité ayant cessé d’exercer depuis moins de cinq ans l’activité de vente volontaire aux enchères publiques.

Droit pénal de l'art

Dans le cadre de la publication du 36ème numéro de la revue Grasco (Groupe de Recherches – Actions sur la Criminalité Organisée), Anne-Sophie Nardon a proposé une analyse détaillée du cadre législatif pénal français et international applicable aux infractions touchant le marché de l’art.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Le droit pénal de l’art – enjeux et perspectives, revue Grasco n° 36 – janvier 2022

prescription œuvre d'art inauthentique

Le 10 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en nullité fondée sur l’erreur sur la substance dans le cadre de la vente d’une œuvre d’art (CA Paris, pôle 4, ch. 13, 10 janvier 2023, n°20-15.324).

Aux termes de cette décision, elle estime que « le doute avéré sur l’authenticité d’une œuvre d’art suffit à fonder une action en nullité de la vente de sorte que le délai de prescription commence à courir à compter de la connaissance par [l’acquéreur] de ce doute et non à compter de la certitude de l’inauthenticité […] ».

L’action en nullité de la vente pour erreur portant sur l’authenticité d’une œuvre est encadrée par un double délai de prescription :

  • un délai flottant de cinq ans qui court à compter de la découverte de l’erreur sur l’authenticité de l’œuvre (articles 2224 et 1144 du code civil) ;
  • un délai butoir de vingt ans qui court à compter du jour de la conclusion de la vente (article 2232 alinéa 1er du code civil).

Dans sa décision, la Cour d’appel vient préciser une jurisprudence traditionnelle selon laquelle le délai « ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non simplement soupçonnée (Civ. 1re, 31 mai 1972, n° 71-10.571, reprise par la Cour d’appel dans son arrêt du 10 janvier 2023), en estimant qu’il court donc à compter du « jour où l’acquéreur a eu un doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre ».

Elle considère qu’aux fins d’établir ce doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’œuvre, il n’est pas nécessaire que l’inauthenticité soit établie de façon irréfutable et certaine. Ainsi, elle écarte la date de dépôt du rapport d’expertise judiciaire au profit de la date à laquelle l’acquéreur a eu connaissance du doute sur l’authenticité de l’œuvre par un expert ayant autorité sur le marché, afin de faire courir le délai.

L’expertise judiciaire qui établit avec certitude la caractère authentique ou apocryphe d’une œuvre au niveau juridique n’est donc pas indispensable pour faire courir le délai de prescription (cf. TGI Paris, 5e ch., 1re sect., 25 sept. 2013, RG n° 08/03229 pour une solution contraire).

En l’espèce, la saisine du juge des référés aux fins de désignation d’un expert judiciaire étant intervenue après l’expiration du délai de prescription, elle n’a pu interrompre le délai d’action prévu à l’article 2241 du Code civil.

NFT

Le 12 juillet dernier, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CLSPA) remettait au ministère de la Culture un rapport dédié aux NFT ayant pour sous-titre « sécuriser le cadre juridique pour libérer les usages ». La mission de ses auteurs, Jean Martin, avocat à la Cour et Pauline Hot, maître des requêtes au conseil d’Etat, était de « fournir un état des lieux permettant d’identifier, d’analyser et d’évaluer le phénomène des NFT dans ses divers aspects juridiques, notamment au prisme des droits d’auteur ».

Pour rappel, les NFT sont des jetons échangeables sur une blockchain – technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe central de contrôle – en cryptomonnaies ou en devises et qui constituent une forme de certificat de propriété associé à un objet numérique ou à un double digital d’un actif physique.

Dans le secteur du marché de l’art, l’année 2021 fut celle de l’émergence des NFT avec la première adjudication, par la maison de ventes aux enchères Christie’s, d’une œuvre digitale NFT – «Everydays : The first 5000 days» de l’artiste américain Beeple – ayant atteint la somme de 69,3 millions de dollars.

Depuis, les usages des NFT se sont multipliés dans les domaines culturels et créatifs : nouveau moyen d’acquisition pour les collectionneurs, nouveau médium pour les artistes, atout pour la traçabilité des œuvres pour le marché de l’art, ou encore, nouvel instrument de levée de fonds pour le mécénat des institutions culturelles, …

Pourtant, leur appréhension par le droit demeure progressive et soulève de multiples problématiques juridiques examinées au sein de cet éclairant rapport.

  • Une définition juridique en construction

Dans leur rapport, les auteurs ont écarté les qualifications juridiques inopportunes. Ainsi, un NFT ne saurait être confondu avec un jeton tel qu’il est défini par le code monétaire et financier , avec une œuvre de l’esprit au sens de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ou encore avec un certificat d’authenticité.

Jean Martin et Pauline Hot retiennent la définition suivante : le NFT est assimilable à un bien meuble incorporel correspondant à un : « titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain […] dont l’objet, la nature et l’étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur » . Plus précisément, ces caractéristiques – objet, nature, étendue – dépendent des prévisions des « smart contract » , c’est-à-dire des « programmes informatiques qui associés à un jeton d’une blockchain lui confère des propriétés et des fonctions qui les rendent uniques ».

  • Risques liés au manque d’encadrement juridique des NFT

Le NFT demeure un « objet juridique non identifié » dont il est complexe de définir avec précision et certitude le régime devant lui être appliqué. Toutefois, les auteurs du rapport se sont attelés à en dresser un état des lieux exhaustif des potentiels risques juridiques (droit pénal, droit administratif des biens, droit de la consommation, droit fiscal, …).

En ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle, ils retiennent notamment les enjeux suivants :

L’identification du titulaire de droit

Cette difficulté a d’ores et déjà nourri un important contentieux. En effet, l’existence de contrats antérieurs de cession totale ou partielle de droits ou l’existence d’ayants-droit multiples peut poser des difficultés pour la production de NFT. A ce titre, le rapport cite l’exemple du petit-fils d’August Sanders, ayant émis des NFT sur la collection de photographies de son grand-père, poursuivi en justice par la fondation SK Stiftung Kultur qui revendique la titularité des droits jusqu’en 2034 .

Les potentielles atteintes au droit d’auteur lors de l’émission d’un NFT

L’émission d’un NFT nécessite impérativement l’accord de l’auteur de l’œuvre faisant l’objet du fichier numérique créé (ou de ses ayants-droit) au titre des droits de reproduction et de représentation.

Une potentielle atteinte au droit moral pourrait par ailleurs être constituée s’il était retenu par la jurisprudence que la production de NFT eût éventuellement « dénaturé » l’œuvre protégée.

Les risques d’atteintes aux droits patrimoniaux lors des cessions et reventes

En principe, l’acquisition d’un NFT ne confère à l’acheteur aucun droit de nature patrimoniale sur l’œuvre. En l’absence de cession ou de licence contractuelles des droits patrimoniaux – dont l’intégration dans le « smart contract » pose des difficultés techniques selon les auteurs en raison du formalisme imposés par les articles L. 131-2 et L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle –, le NFT donne un simple accès personnel au fichier ce qui peut se révéler déceptif pour l’acquéreur.

Le droit de suite soulève également des problématiques spécifiques. A première vue, sa collecte pourrait être automatisée. Ce procédé demeure à ce jour relativement théorique compte tenu des conditions restrictives qui entourent l’application de ce droit. Par exemple, il est nécessaire qu’un professionnel du marché de l’art intervienne dans la vente : condition difficilement vérifiable via le « smart contract » associé au NFT.

***

Les auteurs du rapport concluent que les dispositions du code de la propriété intellectuelle trouvent à s’appliquer sans difficultés insurmontables : les NFT ne s’inscrivent donc pas dans un véritable « vide juridique ». Toutefois, ils préconisent quelques améliorations pour sécuriser le cadre juridique des NFT.

  • Pistes de sécurisation juridique envisagées

Afin de sécuriser l’utilisation des NFT et pour inciter au développement d’usages vertueux et non spéculatifs, Jean Martin et Pauline Hot achèvent leur rapport par 20 propositions parmi lesquelles :

– celle d’engager une réflexion sur les modalités techniques permettant d’assurer l’effectivité des décisions judiciaires pour lutter contre la contrefaçon, et ce, compte tenu du caractère a priori immuable de la blockchain ;

– de diffuser une documentation pédagogique simplifiée sur le droit d’auteur à destination notamment des plateformes de vente de NFT ;

– ou encore d’engager une réflexion sur la mise en œuvre d’une fiscalité adaptée à l’art numérique.

La publication de ce rapport invite les pouvoirs publics à s’emparer de la question des NFT en prenant en compte les aspects juridiques, socio-économiques et écologiques, pour permettre d’atteindre toutes leur potentialité dans le domaine de la culture et du marché de l’art.

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