Référé livres

TJ Paris, ord. réf., 20 mars 2024, n° 24/50849

⚖️ Si d’ordinaire le juge des référés ne peut prononcer la résiliation d’un contrat car cette question relève d’un débat au fond et qui ne peut être tranchée en référé, ce dernier est toutefois compétent pour « prendre acte » de la résiliation d’un contrat dès lors que « les conditions contractuelles de la résiliation de plein droit sont acquises et [qu’] il y a lieu de le constater ».


En l’espèce, un auteur a cédé les droits d’auteur de deux de ses ouvrages à une maison d’édition.

📚 Conformément à l’article L.132-12 du code de la propriété intellectuelle, l’éditeur a une obligation de diffusion commerciale et d’exploitation permanente et suivie des ouvrages. L’article L. 132-17-3 du même code prévoit que si l’éditeur ne satisfait pas à ses obligations de reddition de compte, le contrat est résilié de plein droit trois mois après mise en demeure de l’auteur non suivie d’effet.

 

Constatant une absence d’exploitation permanente et suivie de ses œuvres ainsi que l’absence de reddition des comptes, l’auteur a introduit une première procédure de référé devant le tribunal judiciaire de Paris pour exercer son droit d’information sur les conditions réelles de fabrication, diffusion commerciale et vente des ouvrages depuis 2019. Le président du tribunal judiciaire de Paris a exigé que l’éditeur fournisse, sous astreinte, un rapport certifié par un expert-comptable, détaillant le nombre d’exemplaires de chaque livre produit, vendu, en stock ou détruit entre 2019 et 2022, ainsi qu’un résumé des efforts de promotion des œuvres. L’éditeur a alors produit des documents partiels et l’auteur l’a de nouveau assigné en référé pour qu’il lui soit donné acte de la résiliation de plein droit des contrats de cession de droits d’auteur.

 

Le juge des référés a retenu que l’auteur avait demandé des comptes à l’éditeur concernant la publication de ses ouvrages en février 2022, et que ces derniers n’avaient été fournis que le 27 juillet 2023, confirmant que les ventes étaient bien inférieures aux années précédentes. De plus, un courriel de février 2021 indiquait que les livres étaient en cours de réimpression, mais un constat d’huissier de novembre 2022 révélait que les livres étaient toujours indisponibles sur plusieurs sites internet spécialisés.

 

⚖️ Dès lors, le juge des référés constatant une atteinte aux droits d’auteur caractérisée dont il résultait un trouble manifestement illicite, a pris acte de la résiliation de plein droit des deux contrats d’édition.

Création fonds indemnisation auteurs

💡 Le 4 avril 2024 a été annoncée la création d’un fonds d’indemnisation pour les auteurs confrontés à la liquidation judiciaire de leur maison d’édition par le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), avec le soutien de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia).

 

🖋 Avec ce fonds d’indemnisation, les auteurs pourront désormais déposer une demande devant la SGDL pour les créances non honorées après la liquidation, qui sera soumise à une commission d’évaluation afin d’être indemnisé.

 

💶 Les paiements, sous forme de droits d’auteur, couvriront partiellement ou totalement les créances non recouvrées, en fonction des disponibilités du fonds et du nombre de demandes.

 

Cette initiative répond aux exigences de la loi n° 2021-1901 du 30 décembre 2021, visant à stabiliser l’économie du livre et à renforcer la transparence et la solidarité entre ses intervenants. Pour rappel, cette loi a modifié l’article L.132-15 du code de la propriété intellectuelle, obligeant les maisons d’édition à :

 

–              Produire un état des comptes à date de la cessation adressé à chaque auteur sous contrat avec l’entreprise par l’éditeur ou, le cas échéant, le liquidateur dès lors qu’a été prononcée la cessation d’activité de l’entreprise d’édition ou conséquemment à une décision judiciaire de liquidation, soit du fait d’une cessation d’activité volontaire.

 

–              Faire apparaître dans l’état des comptes le nombre d’exemplaires des ouvrages vendus depuis la dernière reddition des comptes établie, le montant des droits dus à leur auteur au titre de ces ventes ainsi que le nombre d’exemplaires disponibles dans le stock de l’éditeur.

 

Actuellement, le fonds est entièrement financé par la Sofia.

 

Ce dispositif est créé à titre expérimental pour une période de deux ans mais il pourra être prolongé et être amené à évoluer.

Assurance

Le 30 mars dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt publié au bulletin rappelant que la contrefaçon constitutive d’une faute dolosive exclut toute garantie de l’assureur.

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En l’espèce, une société spécialisée dans l’architecture d’intérieur, chargée de travaux de décoration auprès de restaurants, a fait l’objet d’une réclamation par les ayants droit d’un designer pour contrefaçon après avoir utilisé, sans autorisation, et auprès d’un large public dans des restaurants au Royaume Uni et en Europe, des reproductions dont la similitude avec les œuvres du designer, était incontestable.

Après avoir déclaré son sinistre, la société d’architecture s’est vue contrainte d’assigner son assureur qui lui refusait sa garantie, en raison de la commission d’une faute dolosive résultant du caractère flagrant et massif de la contrefaçon.

 

Dans le cadre de son pourvoi devant la Cour de cassation, la société d’architecture a soulevé qu’elle n’avait commis aucune faute dolosive, celle-ci supposant, selon les motifs de la cour d’appel, non pas la seule conscience du risque de provoquer un dommage mais la volonté de le dommage et d’en vouloir les conséquences telles qu’elles se sont produites.

Dans un arrêt du 30 mars 2023 (n° 21-21.084), la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en retenant, comme la cour d’appel, que « l’assurée avait commis une faute dolosive, laquelle n’impliquait pas la volonté de son auteur de créer le dommage », mais dispensait son assureur de toute réparation.

Ce faisant, la Cour de cassation confirme que la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré, commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (Civ. 2ème., 20 janvier 2022, n° 20-13.245), et souligne son autonomie par rapport à la faute intentionnelle, celle-ci impliquant la volonté par l’assuré de causer le dommage tel qu’il s’est réalisé.

Cette décision s’inscrit encore dans la suite logique d’un arrêt précédemment rendu le 10 juin 2021 (Civ. 3ème., 10 juin 2021, n° 20-10.774), qui avait déjà clairement affirmé la dualité et l’indépendance des fautes visées par l’article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances.

 

La Cour de cassation rappelle enfin le caractère légal et d’ordre public de l’exclusion des fautes intentionnelle ou dolosive visées par l’article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances : « la croyance que peut avoir l’assuré de ce que le contrat d’assurance couvre la faute qu’il commet n’est pas de nature à écarter l’exclusion légale et d’ordre public des fautes intentionnelles ou dolosives, quelle que soit la police d’assurance souscrite ».

Courte citation

Le 8 février dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt publié au bulletin à propos de la licéité de l’exception de courte citation dès lors qu’elle se trouve justifiée par un caractère d’analyse.

 

En l’espèce, l’exécuteur testamentaire en charge de l’exercice du droit moral du compositeur et artiste interprète, Jean Ferrat, décédé le 13 mars 2010, a assigné, conjointement avec sa société de production, en contrefaçon l’éditeur d’un ouvrage dédié à l’artiste qui reproduisait 131 extraits des textes des chansons de l’auteur.

Dans un arrêt du 12 janvier 2021, la cour d’appel de Paris avait rejeté sa demande au motif que : « que, le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur » et que l’éditeur : « avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d’elles était nécessaire à l’analyse critique de la chanson à laquelle se livrait [l’auteur de l’ouvrage] permettant au lecteur de comprendre le sens de l’œuvre évoquée et l’engagement de l’artiste, et que ces citations ne s’inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage qui, richement documenté, s’attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [Jean Ferrat] ».

 

L’exécuteur testamentaire et sa société de production se sont pourvus en cassation.

Dans un arrêt du 8 février 2023 (n°21-23.976), la Cour de cassation rejette leur pourvoi en ne relevant aucune atteinte au droit moral de l’auteur.

Tout d’abord, elle rappelle dans sa motivation que le droit au respect du nom de l’auteur, de sa qualité et de son œuvre prévu à l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et que son exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

Elle énonce que l’exercice du droit moral de l’auteur d’une œuvre de l’esprit cohabite avec les exceptions au droit d’auteur prévues à l’article L. 122-5 du même code et notamment l’exception de courte citation qui permet, sous réserve du respect de l’indication du nom de l’auteur et de la source, une utilisation libre et gratuite de l’œuvre.

La Cour de cassation estime que la divulgation de l’œuvre prive l’auteur de la possibilité d’: « interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source. ».

La Cour de cassation approuve l’arrêt rendu et considère que : « la cour d’appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a ainsi pu accueillir l’exception de courte citation ». Les citations prises individuellement ont été implicitement considérées comme étant suffisamment brèves et leur utilisation justifiée « par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage ».

Art & Cultural Heritage Law

Dans le cadre de la newsletter du Art & Cultural Heritage Law Comitee de l’American Bar Association, Anne-Sophie Nardon a publié un article revenant sur deux décisions récentes des tribunaux français (Tribunal judiciaire de Rennes, 10 mai 2021, n°17/04478 et Cour d’appel de Paris, 30 septembre 2022, n°20/18194) relatives à l’exception de parodie, notion autonome du droit de l’Union, en matière d’œuvres relevant du courant artistique appropriationniste.

Pour consulter l’article détaillé, veuillez cliquer sur le lien suivant : Article publié dans « Art & Cultural Heritage Law Newsletter »

Warhol

Le 3 octobre prochain, la Cour suprême des Etats-Unis rendra sa décision dans le litige opposant la Fondation Andy Warhol et la photographe Lynn Goldsmith à propos de l’utilisation d’une photographie du chanteur Prince pour une série de sérigraphies.

Au même titre que de nombreux artistes (Sherry Levine, Jeff Koons, Marcel Duchamp etc.), Andy Warhol est un adepte de « l’art transformatif » ou « appropriation art » qui consiste à créer une œuvre nouvelle en s’inspirant ou en reproduisant des œuvres préexistantes.

Cette pratique artistique pose la question de l’application de la doctrine américaine du « fair use » selon laquelle un artiste peut reprendre, sans autorisation de l’auteur, tout ou partie d’une œuvre préexistante tant que cet usage demeure « loyal ».

En 2019, le tribunal avait jugé établie l’existence d’un « fair use ». En 2021, la cour d’appel a adopté une position inverse en retenant la violation des droits d’auteur de la photographe Lynn Goldsmith. Pour la première fois, la Cour suprême devrait venir préciser les critères d’appréciation future du « fair use » dans les arts graphiques.

Parmi les institutions ayant déposé un mémoire, l’U.S. Copyright Office a fait valoir que l’œuvre de Warhol ne devrait pas être considérée comme transformative car, le cas échéant, « d’innombrables utilisations secondaires qui nécessitent actuellement une licence seraient présumées loyales » [traduction libre]. Pour appuyer sa position, l’U.S Copyright Office se réfère notamment à un arrêt de la Cour Suprême de 1989 Campbell v. Acuff-Rose Music qui a retenu que les utilisations : « pour attirer l’attention ou pour éviter le travail laborieux d’élaborer quelque chose de nouveau » [traduction libre] auront plus de mal à prétendre au bénéfice du « fair use ».

 

Sources :

Second Circ. Fair Use Doctrine in Andy Warhol Foundation v Goldsmith (natlawreview.com)

Barbara Kruger, Robert Storr, and the U.S. Copyright Office Have Filed Briefs in the Supreme Court’s Historic Andy Warhol Copyright Case | Artnet News

Caractères de l'œuvre

 

Droit moral