Le 27 septembre 2024, la Cour suprême de Tasmanie (Australie) a jugé que l’exposition Ladies Lounge, interdite aux hommes, pouvait faire exception au principe de non-discrimination, dans la mesure où elle permettrait de « promouvoir l’égalité des chances » et de « mettre en évidence la discrimination sociétale fondée sur le genre ».

Depuis 2020, le Museum of Old and New Art (MONA) de Hobart (Tasmanie) présentait une œuvre immersive intitulée le « Ladies Lounge », créée par l’artiste et conservatrice américaine Kirsha Kaechele (1976-).

Le « Ladies Lounge » est un salon exclusivement réservé aux femmes, dans lequel sont présentées diverses œuvres, la sélection des artistes servant le propos de Kirsha Kaechele[1]. Le processus d’admission ou de refus à l’entrée du salon et les interactions au sein de ce dernier sont une partie intégrante de l’expérience voulue par l’artiste.

Son intention est de répondre à l’exclusion historique des femmes de certains espaces publics en Australie[2], et de souligner les inégalités qu’elles subissent encore à ce jour[3].

Par une décision du 9 avril 2024, le tribunal civil et administratif de Tasmanie (TASCAT) a toutefois estimé que l’exclusion des hommes constituait une discrimination directe, interdite par la loi et a enjoint au musée d’ouvrir l’exposition à tous, ou de la fermer pour tous, dans un délai de 28 jours.

Une plainte pour discrimination avait, en effet, été déposée auprès du Commissaire à la lutte contre la discrimination[4] par un visiteur s’étant vu refuser l’accès au Ladies Lounge, en avril 2023.

Un recours a été formé contre la décision du TASCAT par le MONA.

Dans l’attente d’une nouvelle décision, l’artiste a fait le choix de déplacer les œuvres dans les toilettes pour femmes du musée, de manière à maintenir l’exclusion des hommes.

Dans cette affaire, deux principes fondamentaux sont donc mis en balance : la liberté d’expression artistique et le principe de non-discrimination. Le débat est lancé !

 

→ Le principe de non-discrimination ne fait-il pas obstacle à une telle exposition ?

En Tasmanie, le « Anti-discrimination Act » de 1998 prohibe expressément les discriminations directes, soient les comportements visant à traiter défavorablement une personne en s’appuyant sur un motif interdit par la loi, comme le genre (article 16(e)).

La Cour suprême était appelée à se prononcer sur l’exception au principe de non-discrimination lorsque l’action vise à promouvoir l’égalité des chances pour un groupe de personnes défavorisées (article 26 dudit acte[5]).

Pour retenir l’application de cette exception, la Cour fait le constat suivant :

  • Le Ladies Lounge n’a pas pour objectif de mettre à disposition un espace pour les femmes artistes, l’exposition présentant indifféremment des œuvres d’artistes féminins et masculins[6];
  • La démarche vise plutôt à proposer l’expérience de la discrimination telle qu’elle a été vécue par les femmes à travers le temps et invite à réfléchir à ces inégalités en refusant l’accès aux hommes ;
  • Ainsi, le Ladies Lounge vise à promouvoir l’égalité des chances.

Par conséquent, la décision du 9 avril 2024 a été annulée et l’affaire renvoyée devant le tribunal civil et administratif de Tasmanie qui devra à nouveau apprécier le fond.

 

→ Une telle solution a-t-elle vocation à s’appliquer en France ? Un artiste peut-il s’exprimer sans limite ?

Tous ceux qui « créent, interprètent, diffusent ou exposent une oeuvre d’art »[7] sont protégés par la liberté d’expression artistique. Elle découle de la liberté d’expression définie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue l’une des « conditions primordiales [au] progrès » [8] d’une société démocratique.

La liberté d’expression peut toutefois être soumise à certaines restrictions prévues par la loi, lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires. L’article 10, § 2, de la CEDH énumère les buts légitimes suivants : « constituent des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

L’oeuvre ne doit pas véhiculer d’incitations à la discrimination[9], à la haine ou à la violence[10]. Toutefois, dès lors qu’elle cherche à transmettre un message suscitant le débat public, les juges mettent en balance l’exercice de la liberté d’expression avec le droit fondamental auquel il est porté atteinte. La restriction à ce droit devra être avant tout proportionnée.

A ce titre, les tribunaux français ont par exemple fait prévaloir la liberté de création et de diffusion artistiques sur l’atteinte à la dignité humaine, s’agissant d’œuvres dénonçant des traitements particulièrement violents infligés à des enfants[11] (vous pouvez, sur ce point, vous référer à notre précédent article).


[1] Kirsha Kaechele explique : « pour que les hommes se sentent les plus exclus possible, le salon devait exposer les œuvres d’art les plus importantes au monde – les meilleures » (pour en savoir plus sur la démarche de l’artiste v. : K. Kaechele, « « Art is not truth » : Pablo Picasso », MONA blog, 9 juill. 2024).

[2] Jusque dans les années 1970-1980, les femmes australiennes ne pouvaient fréquenter les bars publics et étaient confinées au « salon des dames » ou au jardin de la bière à l’extérieur.

[3] Le MONA a produit, au soutien de ses prétentions, le Bulletin d’information sur la situation des femmes (2024), publié par le gouvernent australien à l’occasion de chaque Journée internationale de la femme. Ce dernier comprend les données les plus récentes disponibles et met en évidence des donnés clés sur les problèmes d’égalité sociale et économique auxquels sont confrontées les femmes en Australie.

[4] Le “Equal Opportunity Tasmania” est le bureau du commissaire à la lutte contre la discrimination.

[5] Article 26 du ‘Anti-Discrimination Act’ : “A person may discriminate against another person in any program, plan or arrangement designed to promote equal opportunity for a group of people who are disadvantaged or have a special need because of a prescribed attribute”.

[6] Le tribunal civil et administratif de Tasmanie avait retenu, à tort, que le Ladies Lounge avait pour objectif de souligner le manque de visibilité dont souffrent les artistes femmes lors des expositions publiques. Il était avancé que le fait d’interdire l’accès aux hommes ne pouvait favoriser la possibilité pour les artistes femmes d’exposer leurs œuvres. A ce titre, les juges avaient rejeté l’application de l’article 26.

[7] CEDH, arrêt du 3 mai 2007, Ulusoy e.a. c. Turquie, n° 34797/02, § 42 cité par Cass. AP, 17 décembre 2023, n°21-20.723.

[8] CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, § 49 et Cons. Constit. 4 avril 2019, n°2019-780.

[9] Rappelons qu’au sens des articles 225-1 et suivants du code pénal, constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement notamment de leur origine ou de leur sexe. La discrimination est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende lorsqu’elle consiste à refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ou à subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1.

[10] Au sens de l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881. Pour que l’infraction soit constituée, il faut que ce qui ait été dit ou écrit puisse être compris comme une incitation manifeste, une instigation, une exhortation à des sentiments discriminatoires (Crim. 8 nov. 2011, n° 09-88.007).

[11] Cass. 17 novembre 2023, n°21-20.723.

PHOTOGRAPHIE DANS LA RUE ET IMAGE DES BIENS SUR LA VOIE PUBLIQUE. PAS D’INQUIÉTUDE DANS LA PRISE DE VOS SELFIES !

Quels sont les risques et les enjeux de photographier les œuvres architecturales au regard du droit d’auteur ?

En 2001, le Parlement européen a décidé de laisser chaque État membre choisir s’il voulait adopter ou non une exception de panorama obligatoire. En 2015, la question est relancée avec l’adoption par le Parlement européen du rapport dit « Reda », relatif à la mise en œuvre de la directive de 2001, qui recommande d’harmoniser l’exception de panorama au sein de l’Europe. De quoi s’agit-il exactement ? Qu’est‑ce que l’exception de panorama et pourquoi est-elle si débattue ces dernières années ?

⚖️ Introduite en France par la loi du 7 octobre 2016, dite « pour une République numérique », l’exception de panorama permet à toute personne de reproduire et représenter des œuvres architecturales et sculpturales situées en permanence dans des espaces publics, tant que cela n’est pas fait à des fins commerciales. Ce principe est inscrit à l’article L. 122-5, 11° du Code de la propriété intellectuelle. Cela signifie que vous pouvez prendre des photos de bâtiments ou de sculptures visibles dans la rue et les partager, tant que vous n’en tirez pas de profit commercial.

Le droit français a ainsi choisi de subordonner l’exception de panorama à la condition supplémentaire d’un usage non-commercial, rendant son champ d’application beaucoup plus restreint par rapport à l’exception « européenne »[1].

Pour mieux comprendre les implications de cette législation, voici quelques réponses aux questions pratiques les plus courantes.

 

  • Puis-je partager le selfie que j’ai pris devant la Tour Eiffel de nuit sur mes réseaux sociaux ?

La Tour Eiffel, monument symbolique de la capitale française, achevée en 1889, n’est plus protégée par le droit d’auteur. En effet, soixante-dix ans se sont écoulés depuis la mort de son architecte, Gustave Eiffel, rendant désormais libre l’exploitation de l’image de la Tour Eiffel. Des photos ou des selfies devant la Tour Eiffel peuvent donc être pris, sans avoir à demander l’autorisation des ayants-droits de M. Eiffel.

Il n’en est pas de même si l’on prend un selfie avec la Tour Eiffel illuminée. L’illumination de 5 minutes qui se déclenche à la tombée de la nuit, au début de chaque heure, est protégée par le droit d’auteur. L’exploitation de l’image de la Tour Eiffel la nuit n’est donc pas libre, mais conditionnée à l’autorisation préalable de la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel (SETE).

Sans cette autorisation, vous vous exposez à trois ans d’emprisonnement et à 300.000 € d’amende.

 

🥑 Nos conseils :

Vous êtes un particulier qui a pris une photographie pour la partager avec vos proches, vous n’avez donc rien à craindre.

Vous êtes un influenceur, photographe professionnel, éditeur ou tout autre professionnel et vous voudriez partager la photo de nuit sur les réseaux sociaux pour alimenter votre activité commerciale, vous devez alors demander l’autorisation à la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel (SETE), sous peine d’être exposé aux sanctions évoquées.

 

  • Et s’il s’agit d’un selfie devant la Pyramide du Louvre, la solution est-t-elle la même ?

La Pyramide du Louvre, construite en 1989 par l’architecte Ipoh Ming Pei est encore protégée par le droit d’auteur. L’exploitation de son image ne sera libre qu’en 2089, soixante-dix ans après la mort de son architecte, intervenue le 16 mai 2019. Et entre-temps ?

Toute personne physique prenant un selfie devant la Pyramide et le partageant sur ses réseaux sociaux, doit demander l’autorisation des ayants droits de Ipoh Ming Pei ; à condition, encore une fois, que le selfie soit partagé à des fins commerciales.

L’exception de panorama remplit son rôle : elle protège toute personne physique, dont la seule intention est de capturer un bon moment et de le partager avec ses amis.

 

  • Et le Domaine de Chambord ?

Les domaines nationaux sont des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation[2]. Le Domaine de Chambord, comme tous les domaines nationaux, fait partie du domaine public.

L’exception de panorama introduite par le législateur n’est pas destinée à s’appliquer aux ensembles ayant un caractère historique et artistique. Néanmoins, en 2016, le législateur a ajouté des dispositions spéciales dans le code du patrimoine visant à « permettre la valorisation économique du patrimoine que constituent ces domaines nationaux[3] ».

Ces dispositions viennent limiter l’exploitation de l’image de la vingtaine de domaines nationaux, dont le domaine de Chambord fait partie. En effet, l’article L. 621-42 du code du patrimoine dispose que « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national[4]. »

Le gestionnaire du domaine qui reçoit cette demande est tenu d’accorder une autorisation, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux. Ce dernier ne peut refuser l’exploitation de l’image du domaine que dans le cas où « l’exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l’image de ce bien présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation[5] ».

À défaut d’une demande préalable d’autorisation, l’utilisation à des fins commerciales des prises de vues d’un immeuble inclus dans la liste des domaines nationaux, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire de l’immeuble[6].

⚠️ L’autorisation n’est toutefois pas requise si l’utilisation à des fins commerciales poursuit également une finalité visée par le texte, à savoir « finalité culturelle, artistique, pédagogique, d’enseignement, de recherche, d’information, d’illustration de l’actualité ou liée à l’exercice d’une mission de service public[7] ».

 

🥑 Nos conseils :

Vous êtes un particulier et vous envisagez un usage à titre privé, vous n’avez donc là encore rien à craindre.

Vous êtes un influenceur, photographe professionnel, éditeur ou tout autre professionnel et vous voudriez partager la photo du Domaine de Chambord ou d’un autre domaine national pour votre activité commerciale, demandez l’autorisation au gestionnaire du domaine concerné, sous peine de voir votre responsabilité pour faute engagée.

Cette autorisation ne pourra, par ailleurs, pas vous être refusée, à moins que le gestionnaire considère que l’exploitation envisagée porte atteinte à l’image du domaine.

⚠️ Vous estimez poursuivre une finalité visée par le texte ? L’autorisation n’est en théorie pas nécessaire. Néanmoins, nous vous recommandons de vous rapprocher d’un conseil. Notre cabinet se tient à votre disposition si vous avez des questions.

💡Avant toute exploitation d’un domaine, pensez à consulter la liste de l’article R. 621-98 du code du patrimoine pour voir si le domaine, dont vous souhaitez exploiter l’image, est inscrit au titre des domaines nationaux.

 


[1] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, article 5, 2. h).

[2] Article L. 621-34 du code du patrimoine.

[3] Conseil constitutionnel, 2 février 2018, Assoc. Wikimédia France et a., n° 2017-687 QPC, 10.

[4] Article L. 621-42 du code du patrimoine.

[5] Conseil constitutionnel, 2 février 2018, Assoc. Wikimédia France et a., n° 2017-687 QPC, 12.

[6] Conseil d’État, 13 avril 2018, Éts public du domaine national de Chambord c/ Sté Les Brasseries Kronenbourg, n°397047.

[7] Conseil constitutionnel, 2 février 2018, Assoc. Wikimédia France et a., n° 2017-687 QPC, 11.

Cour d’appel, Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 4 avril 2024, n°23/04404

Dans un arrêt du 4 avril 2024, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a annulé le placement sous séquestre de la sculpture Mademoiselle Rachel chantant la Marseillaise d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse, ordonné par le président du tribunal judiciaire de Marseille à la demande de l’Etat.

L’œuvre avait été prêtée par son propriétaire, domicilié en Suisse, à un musée d’Histoire français dans le cadre d’une exposition temporaire.

L’Etat a alors souhaité procéder à sa revendication à raison de son appartenance au domaine public, et empêcher sa sortie du territoire français le temps de la procédure judiciaire.

Dans un premier temps, l’Etat s’est rapproché du prêteur afin de convenir avec lui, à l’amiable, des perspectives de restitution. La tentative est toutefois restée sans réponse.

Par ordonnance sur requête du 23 juin 2022, le tribunal judiciaire de Marseille a ordonnée le séquestre de l’œuvre et l’a confiée au musée.

Le propriétaire de l’œuvre a sollicité la rétractation de la requête mais le président du tribunal judiciaire de Marseille l’a débouté de ses demandes, par ordonnance du 3 mars 2023.

Le 24 mars 2023, le propriétaire a interjeté appel aux motifs qu’il n’y avait aucune nécessité de déroger au principe du contradictoire et que l’Etat aurait pu procéder autrement pour obtenir une restitution que par surprise.

→ Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas pu obtenir le maintien de la mise sous séquestre de la sculpture ?

La Cour d’appel a estimé que les circonstances de l’espèce ne permettaient pas de justifier le recours à une procédure contradictoire dès lors que :

  • L’Etat aurait pu saisir le juge des référés, par une assignation d’heure à heure, dès le mois d’avril 2022, date à laquelle il avait formulé son intention de revendiquer l’œuvre. Or, une action n’a été intentée que quelques jours avant la fin de l’exposition, soit deux mois après.
  • L’Etat ne rapporte pas la preuve d’un risque concret de rapatriement de l’œuvre en Suisse en cours d’exposition[1] – une résiliation préalable du contrat de prêt étant nécessaire.

En conséquence, la Cour a rétracté l’ordonnance de séquestre, du fait de son irrégularité, et a ordonné la restitution de la sculpture à son propriétaire.

Une discussion au fond sur la propriété de la sculpture est toujours possible.

→ Dans quels cas l’Etat agit-il pour obtenir la restitution de biens appartenant au domaine public ?

L’Etat agit[2] exclusivement lorsqu’il a acquis la certitude ou, du moins, l’intime conviction, qu’il dispose d’éléments suffisants pour prouver que le bien culturel se trouvant entre des mains privées :

  1. A été autrefois volé ou est sorti irrégulièrement du domaine public ;
  2. Constitue des archives publiques depuis son origine.

Dans ces hypothèses, seul l’Etat, représenté par l’administration chargée des domaines[3], a le pouvoir d’agir devant le juge judiciaire. Cependant, dans cette affaire, la cour d’appel a admis que le Centre National pour les Arts Plastiques (CNAP) assiste l’Etat pour suivre les instances intéressant son droit à la propriété.

→ Quel est le risque pour le propriétaire de l’œuvre dont la propriété est revendiquée par l’Etat ?

Lorsqu’il est fait droit à l’action en revendication de l’Etat, le propriétaire de l’œuvre, même de bonne foi, est tenu de le restituer[4]. Cela s’explique par les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité des biens relevant du domaine public. Toutefois, si le bien en question a été acquis lors d’une vente, l’acheteur mis en demeure de restituer l’œuvre bénéficie d’une action en garantie d’éviction contre son vendeur personne privée[5], sous réserve des dispositions réglant la prescription en matière mobilière[6].

Si l’État tarde à en demander la restitution, le préjudice lié à la perte de jouissance du bien peut être réparé dès lors que le détenteur supporte une charge exorbitante (pour plus de précisions sur les conditions d’indemnisation, nous vous invitons à lire ou à redécouvrir notre article sur le sujet).

 


[1] Au contraire, le juge des référés avait ordonné la mise sous séquestre d’une œuvre, dans une affaire où les propriétaires d’origine américaine avaient déclaré leur intention de ramener l’œuvre prêtée aux Etats-Unis sitôt la fin de l’exposition (TGI Paris, réf. 30 mai 2017, n°17/52.901).

[2] A titre d’illustration, les juges ont ordonné la restitution des biens suivants : les archives du général François de Chasseloup-Laubat ainsi que leurs copies (Cass. Civ. 1e, 21 juin 2018, n°17/19.751), un bureau Louis XVI inscrit à l’inventaire annexe du Mobilier national (TGI Paris, 6 janvier 2015, n°14/01.319) ou un manuscrit de l’architecte et historiographe André Félibien acquis en 1719 par la Bibliothèque royale (CE, 28 juillet 2017, n°392122).

[3] Articles R. 2331-1 et R. 2331-2 du code général de la propriété des personnes publiques.

[4] TJ Paris, 17 mars 2021, n° 18/07785 : le propriétaire de bonne foi ne peut pas invoquer l’inaction de l’État lors de précédentes ventes aux enchères comme renonciation à la revendication.

[5] Article L. 112-23 du code du patrimoine renvoyant expressément à l’article 1626 du Code civil.

[6] Article 2224 du Code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Etant entendu que la mise en demeure par l’Etat de restituer le bien ne constitue pas nécessairement le fait permettant à l’acheteur d’exercer son action en garantie.

Mandat intérêt commun

Cour d’appel de Paris, 16 janvier 2024, RG n° 20/17979


🎨 En 2013, un artiste peintre a confié à une galerie d’art plusieurs œuvres par le biais d’un contrat intitulé « mise en dépôt d’œuvres d’art ». En 2017, l’artiste indique à la galerie qu’il souhaite mettre fin à leur partenariat et se voir restituer l’ensemble des œuvres confiées. La galerie refuse la restitution et assigne l’artiste, invoquant la rupture fautive et brutale de leur relation.

💡 Selon jugement du 12 novembre 2020, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné l’artiste à verser à la galerie des dommages-intérêts. Le Tribunal considère que le contrat conclu entre les parties est un mandat d’intérêt commun, caractérisé par l’existence d’une communauté d’intérêts entre eux et qui ne pouvait être révoqué sans motif légitime ou préavis, à la différence du mandat classique. La jurisprudence caractérise le mandat d’intérêt commun dès lors qu’il y a « intérêt du mandant et du mandataire à l’essor de l’entreprise par création et développement de la clientèle » (Cass. com., 20 févr. 2007, n° 05-18.444). L’artiste peintre a contesté cette qualification de mandat d’intérêt commun et a fait appel du jugement.

⚠️La Cour d’appel a jugé que le contrat présentait une communauté d’intérêts car il bénéficiait aux deux parties, notamment en ce que la galerie s’efforçait de faire reconnaître l’artiste et de valoriser son œuvre. Elle approuve le jugement en ce qu’il a requalifié le contrat de dépôt en mandat d’intérêt commun. En effet, les parties ont « entendu se lier au-delà du mandat de dépôt simple par lequel [l’artiste] confiait ses œuvres à la galerie, celle-ci étant pour sa part mandatée pour les vendre, moyennant une commission que cet écrit ne fixe pas mais dont le montant de 50 % effectivement appliqué sur chaque vente réalisée, n’a jamais fait l’objet d’aucune contestation dans le cours de la relation ni d’ailleurs après sa rupture. »

En l’absence de préavis raisonnable, l’artiste avait rompu le contrat de manière brutale et fautive et a été condamné par la Cour d’appel à indemniser la galerie à hauteur de 19.347, 25 euros en réparation des pertes de chance de commissionnement découlant de la rupture des relations contractuelles et à hauteur de 2.000 euros en réparation du préjudice né de la désorganisation des rapports avec sa clientèle.

La galerie, quant à elle, a été également condamnée à indemniser l’artiste à hauteur de 5.000 euros représentant, d’une part, la perte de chance de vendre trois tableaux tardivement restitués en novembre 2019 et, d’autre part, en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de ses œuvres par le biais de leur production et de leur présentation non autorisée sur le site internet de la galerie. Enfin, la Cour d’appel a condamné la galerie à payer l’artiste la somme de 660,39 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la non-perception de sa quote-part sur la vente d’une œuvre en 2019.

Référé livres

TJ Paris, ord. réf., 20 mars 2024, n° 24/50849

⚖️ Si d’ordinaire le juge des référés ne peut prononcer la résiliation d’un contrat car cette question relève d’un débat au fond et qui ne peut être tranchée en référé, ce dernier est toutefois compétent pour « prendre acte » de la résiliation d’un contrat dès lors que « les conditions contractuelles de la résiliation de plein droit sont acquises et [qu’] il y a lieu de le constater ».


En l’espèce, un auteur a cédé les droits d’auteur de deux de ses ouvrages à une maison d’édition.

📚 Conformément à l’article L.132-12 du code de la propriété intellectuelle, l’éditeur a une obligation de diffusion commerciale et d’exploitation permanente et suivie des ouvrages. L’article L. 132-17-3 du même code prévoit que si l’éditeur ne satisfait pas à ses obligations de reddition de compte, le contrat est résilié de plein droit trois mois après mise en demeure de l’auteur non suivie d’effet.

 

Constatant une absence d’exploitation permanente et suivie de ses œuvres ainsi que l’absence de reddition des comptes, l’auteur a introduit une première procédure de référé devant le tribunal judiciaire de Paris pour exercer son droit d’information sur les conditions réelles de fabrication, diffusion commerciale et vente des ouvrages depuis 2019. Le président du tribunal judiciaire de Paris a exigé que l’éditeur fournisse, sous astreinte, un rapport certifié par un expert-comptable, détaillant le nombre d’exemplaires de chaque livre produit, vendu, en stock ou détruit entre 2019 et 2022, ainsi qu’un résumé des efforts de promotion des œuvres. L’éditeur a alors produit des documents partiels et l’auteur l’a de nouveau assigné en référé pour qu’il lui soit donné acte de la résiliation de plein droit des contrats de cession de droits d’auteur.

 

Le juge des référés a retenu que l’auteur avait demandé des comptes à l’éditeur concernant la publication de ses ouvrages en février 2022, et que ces derniers n’avaient été fournis que le 27 juillet 2023, confirmant que les ventes étaient bien inférieures aux années précédentes. De plus, un courriel de février 2021 indiquait que les livres étaient en cours de réimpression, mais un constat d’huissier de novembre 2022 révélait que les livres étaient toujours indisponibles sur plusieurs sites internet spécialisés.

 

⚖️ Dès lors, le juge des référés constatant une atteinte aux droits d’auteur caractérisée dont il résultait un trouble manifestement illicite, a pris acte de la résiliation de plein droit des deux contrats d’édition.

Création fonds indemnisation auteurs

💡 Le 4 avril 2024 a été annoncée la création d’un fonds d’indemnisation pour les auteurs confrontés à la liquidation judiciaire de leur maison d’édition par le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), avec le soutien de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia).

 

🖋 Avec ce fonds d’indemnisation, les auteurs pourront désormais déposer une demande devant la SGDL pour les créances non honorées après la liquidation, qui sera soumise à une commission d’évaluation afin d’être indemnisé.

 

💶 Les paiements, sous forme de droits d’auteur, couvriront partiellement ou totalement les créances non recouvrées, en fonction des disponibilités du fonds et du nombre de demandes.

 

Cette initiative répond aux exigences de la loi n° 2021-1901 du 30 décembre 2021, visant à stabiliser l’économie du livre et à renforcer la transparence et la solidarité entre ses intervenants. Pour rappel, cette loi a modifié l’article L.132-15 du code de la propriété intellectuelle, obligeant les maisons d’édition à :

 

–              Produire un état des comptes à date de la cessation adressé à chaque auteur sous contrat avec l’entreprise par l’éditeur ou, le cas échéant, le liquidateur dès lors qu’a été prononcée la cessation d’activité de l’entreprise d’édition ou conséquemment à une décision judiciaire de liquidation, soit du fait d’une cessation d’activité volontaire.

 

–              Faire apparaître dans l’état des comptes le nombre d’exemplaires des ouvrages vendus depuis la dernière reddition des comptes établie, le montant des droits dus à leur auteur au titre de ces ventes ainsi que le nombre d’exemplaires disponibles dans le stock de l’éditeur.

 

Actuellement, le fonds est entièrement financé par la Sofia.

 

Ce dispositif est créé à titre expérimental pour une période de deux ans mais il pourra être prolongé et être amené à évoluer.

Focus photographie espace public

PHOTOGRAPHIE DE RUE, DROIT A L’IMAGE ET VIE PRIVEE

 

Henri Cartier-Bresson, Vivian Maier, Diane Arbus, Joel Meyerowitz, Robert Doisneau… De nombreux photographes célèbres se sont attelés à la photographie de rue. Cette pratique consiste à prendre des clichés dans un lieu public, en présence d’une ou plusieurs personnes afin de capturer une scène authentique du quotidien, prise spontanément, sur le vif. Mais qu’en est-il du droit à l’image lorsqu’un individu est identifiable sur la photographie et que ce dernier s’oppose à la captation et/ou à la diffusion du cliché ? Cette question s’est posée à de nombreuses reprises devant les tribunaux, par exemple pour le fameux cliché « Baiser de l’Hôtel de Ville » de Robert Doisneau, prise en 1950 [1]. Cette affaire renvoie à une problématique récurrente :

 

A-t-on le droit de prendre en photo une personne dans la rue sans son consentement ?

Quels sont les risques et les enjeux de la photographie de rue au regard du droit à l’image et du droit à la vie privée ?

 

  • La distinction lieu public et lieu privé

 

La pratique de la photographie, comme la photographie de studio, peut se dérouler dans un lieu privé. Il se définit comme « l’endroit qui n’est ouvert à personne, sauf autorisation de celui qui l’occupe » [2], et ce « peu important que ce lieu se trouve inclus dans un bâtiment ouvert au public » [3]. Le domicile en est un exemple.

Dans cet espace, la fixation et la publication de l’image d’une personne peut être, en l’absence de tout consentement expresse ou tacite, constitutif d’un délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée, d’après l’article 226-1 du code pénal, punissable d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.

⚠️ Toutefois, il existe une présomption de consentement du sujet de la photographie au profit du photographe dès lors que la photographie a été enregistrée au vu et au su des sujets qui ne s’y sont pas opposés alors qu’ils étaient en mesure de le faire [4].

 

Le lieu public se définit comme le « lieu accessible à tous sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent ou conditionnel, ou subordonné à certaines conditions, heures ou causes déterminées » [5]. Ainsi, tout lieu dans lequel on peut pénétrer sans y avoir été invité personnellement, même s’il faut acheter un billet, constitue un lieu public (par exemple, le métro, le cinéma ou la piscine).

⚠️ Dès lors, dans un lieu public, le fait de prendre une image d’une personne peut constituer une atteinte à sa vie privée et à son droit à l’image mais à certaines conditions seulement.

 

  • Dois-je recueillir le consentement de la personne que je souhaite photographier dans un lieu public ?

 

Si la personne apparaît de manière accessoire et quasiment fortuite sur une image, aucune atteinte à son droit à l’image ou au respect de sa vie privée ne peut, en principe, être constatée [6].

 

Par contre, si la personne constitue le sujet principal et reconnaissable de l’image et apparaît de manière isolée, il est nécessaire d’obtenir son consentement tacite ou expresse préalable [7].

 

🥑 Les risques : Dans un lieu public, lorsque la personne est identifiable et reconnaissable, je risque d’engager ma responsabilité en tant que photographe [8]. L’appréciation ddu caractère identifiable ne se fait pas à partir du public en général, mais en tenant compte des proches de la personne en cause pouvant la reconnaître. Dans le cadre d’un contentieux, la charge de la preuve incombe alors à celui qui estime avoir subi une atteinte à son droit à l’image ou à sa vie privée [9]. Si je renonce à recourir à la signature d’autorisation pour la prise de mes images, je m’expose au risque d’être assigné(e) pour violation du droit à l’image et du respect de la vie privée d’autrui.

 

🥑 Nos conseils : Bien que le consentement puisse intervenir de manière tacite ou se déduire des circonstances [10], il est préférable d’obtenir une autorisation expresse. Cette autorisation fait l’objet d’une interprétation stricte [11] et doit être spéciale, c’est-à-dire préciser les utilisations autorisées [12]. L’autorisation ne doit pas être détournée du contexte dans lequel elle a été donnée [13].

 

⚠️ Attention : si je souhaite photographier un mineur, je dois obtenir le consentement de ses deux parents ou de toute personne détentrice de l’autorité parentale [14].

 

  • Publication ou captation ?

 

On estimait traditionnellement que ce n’était pas l’acte de la prise de photo qui constituait une atteinte au droit à l’image mais l’acte de publication et de diffusion [15]. Or dans une décision récente, la Cour de cassation a rappelé le principe de la responsabilité de plein droit en matière de violation des droits de la personnalité incluant le droit à l’image [16]. Reprenant et précisant la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme [17], elle rappelle que la maîtrise par un individu de son image implique la possibilité de refuser la diffusion de son image mais comprend également le droit pour lui de s’opposer à la captation et la conservation de celle-ci par autrui.  En effet, l’image constitue une caractéristique attachée à la personnalité de chacun dont la protection suppose le consentement de l’individu dès sa captation et non pas uniquement au moment de sa potentielle diffusion au public.

 

 

  • Est-ce que la réponse est identique si ma démarche est artistique ?

 

La liberté d’expression artistique est parfois invoquée pour justifier l’atteinte aux droits d’autrui. Les tribunaux estiment qu’en matière de photographie de rue, la liberté d’expression artistique prime sur le droit à l’image, de sorte que ce dernier ne peut donner lieu à l’interdiction de publication d’une image [18].

 

Toute autre solution aurait pour conséquence, dans le domaine de l’art photographique, de contraindre l’auteur des clichés à « solliciter systématiquement le consentement des personnes à ce que leur image puisse être fixée, puis ensuite publiée, ce qui aurait pour effet de compromettre les photographies prises sur le vif ou la représentation de scènes de rue » [19].

 

Toutefois, il existe deux exceptions à ce principe :

  • L’image ne doit pas constituer une atteinte à la dignité humaine de la personne représentée.
  • La publication ne doit pas avoir des « conséquences d’une particulière gravité» sur la vie privée de la personne photographiée [20].

 

⚖️ Dans une affaire du 5 novembre 2008, intentée à l’occasion de la parution d’un recueil de photographies intitulé « Perdre la tête » du photographe François-Marie Banier [21], la Cour d’appel a rendu un arrêt important concernant le droit à l’image et le droit à la vie privée.  Invoquant les deux droits précités, la requérante demandait le retrait de cet ouvrage d’une image sur laquelle elle apparaissait de manière identifiable, ainsi que l’indemnisation de son préjudice. Elle considérait que la publication de cette photographie, au sein d’un recueil mettant en avant des individus excentriques, marginaux ou exclus de la société, revêtait un caractère dégradant attentatoire à sa dignité.

Les juges ont rejeté ces arguments estimant que le cliché anodin ne relevait aucun élément d’ordre privé, ni n’était dégradant. Ils ont considéré que le droit à l’image devait céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier avait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de communiquer des idées, notamment par le travail d’un artiste.

 

⚠️ Tout le monde ne peut se prévaloir de l’exception de liberté d’expression artistique. En effet, il faut établir le caractère artistique de l’image en cause. Ce caractère est souverainement apprécié par les juges [22] en se référant notamment aux critères de qualification de l’ « œuvre de l’esprit » au sens de l’article L. 112-2 du code de propriété intellectuelle ou en analysant la démarche intellectuelle du photographe pour déterminer si celle-ci est artistique [23].

 


[1] Cass., Civ. 1ère, 16 mars 1999, n°97-11.465.

[2] Cass., Crim., 28 novembre 2006, n° 06-81200 : définition prétorienne.

[3] Cass., Crim., 26 octobre 2010, n° 09-81.492.

[4] Art. 226-1 du code pénal.

[5] TGI Paris, 23 octobre 1986, Gaz. Pal. 1987, 1, 21 et Cass., Crim., 28 juin 1988, n° 87-85.460 : définition prétorienne.

[6] Cass., Civ. 1re, 12 décembre 2000, n° 98-21.311 ; Cass, civ 1re, 25 janvier 2000, n° 97-15.163.

[7] Cass., Civ. 1re, 12 décembre 2000, n° 98-21.311 ; Cass, civ 1re, 25 janvier 2000, n° 97-15.163.

[8] TGI Paris, 21 février 1974, D. 1974. 530, note R. Lindon ; cf. également Cass, Civ. 1re, 21 mars 2006, n° 05-16.817.

[9] Paris, pôle 1, ch. 2, 28 mars 2019, RG n° 18/22.397 ; TGI Nanterre, 15 oct. 2001, Légipresse 2002, I 29.

[10] Cass., Civ. 1re, 7 mars 2006, Bull. civ. I. n° 139.

[11] Cass., Civ. 1re, 4 novembre 2011, n° 10-24.761.

[12] Cf. TGI Paris, 18 mai 2009, Légipresse 2009. I. 113.

[13] Paris, 11e ch., B, 19 octobre 2006, RG n° 05/06562.

[14] Cass, Civ. 1re, 27 février 2007, n° 06-14.273.

[15] §431.143, Pratique du droit de la presse, Christophe Bigot, Dalloz, Hors collection, 2020.

[16] Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 20-13753.

[17] CEDH, 15 janv 2009, Reklos et Davourlis c/ Grèce, n° 1234/05 ; CEDH, 27 mai 2014, De la Flor Cabrera c/ Espagne, n° 10764/09.

[18] TGI Paris, 2 juin 2004, Légipresse 2004, III, p. 156, note Ch. Bigot : la liberté d’expression artistique doit primer à chaque fois que « l’exercice par un individu de son droit à l’image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées qui s’exprime spécialement dans le travail d’artiste » ; CA Paris, 11e ch. sect. A, 5 nov. 2008 ; §423, Dalloz, Répertoire de droit civil : Paris, 5 novembre 2008.

[19] TGI Paris, 9 mai 2007, D. 2008. 57.

[20] Art. 9 et 16 du Code civil ; CA Paris, 11e ch. sect. A, 5 nov. 2008 ; §423, Dalloz, Répertoire de droit civil : Paris, 5 novembre 2008.

[21] CA de Paris, 17eme chambre, 5 novembre 2008, n° 07/10198.

[22] Recueil Dalloz, 2009, p. 470, La liberté de création prévaut, dans certaines limites, sur le droit à l’image, Christophe Bigot.

[23]   TGI de Paris, 2 juin 2004, Ben Salah c/ Delahaye, Agence Magnum, Légipresse 2004. III. 156 et TGI de Paris, 9 mai 2007, n° 06/03296, Chastenet de Puysegur c/ Gallimard et Banier.

Liberté d'expression artistique vs dignité humaine

Le 17 novembre dernier, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a clos une longue affaire judiciaire, opposant le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de Lorraine à l’Association Générale contre le Racisme et pour le respect de l’Identité Française (AGRIF), celle-ci concernait l’exposition « You are my mirror 1 : L’infamille » du FRAC de Lorraine de 2008. L’AGRIF avait porté plainte contre le FRAC de Lorraine à propos de l’exposition d’une œuvre dont elle estimait qu’elle contrevenait aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal relatif à la diffusion de messages violents ou pornographiques susceptibles d’être perçus par un mineur.

 

L’association considérait qu’une œuvre constituée de dix-neuf fausses lettres manuscrites portait atteinte à la dignité humaine. Ces lettres se composaient notamment des phrases suivantes :  » […] Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […] Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. […]  »

 

La Cour de cassation a statué en faveur de la liberté de création artistique, rejetant le pourvoi de l’AGRIF. Elle affirme que la dignité humaine seule ne peut restreindre cette liberté, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Chronologie de l’affaire

 

 

La plainte ayant été classée sans suite, l’AGRIF a intenté une action en indemnisation devant le Tribunal administratif de Strasbourg, qui s’est déclaré incompétent.

 

L’AGRIF a alors assigné la FRAC devant le tribunal de grande instance de Metz en réparation du préjudice causé aux intérêts collectifs qu’elle a pour objet de défendre, en raison d’une atteinte portée à la dignité de la personne humaine protégé par l’article 16 du Code civil. La FRAC à verser symboliquement un euro à l’AGRIF au titre de dommages et intérêts.

 

Cependant, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de Metz en 2017 qui a retenu l’imprécision de l’article 16 du Code civil.

 

En 2018, la Cour de cassation a cassé cette décision, reconnaissant l’article 16 du Code civil comme étant un principe à valeur constitutionnelle[1].

 

En 2021, la Cour d’appel de Paris statuant sur renvoi a rejeté les demandes indemnitaires de l’AGRIF, affirmant que l’atteinte à la dignité humaine dans l’exposition au sein de l’exposition ne pouvait limiter la liberté d’expression.

 

L’AGRIF s’est pourvue en cassation soutenant que :

 

1°/ Le principe du respect de la dignité humaine est absolu et ne peut être mis en balance avec aucun droit fondamental car il en est la substance et le fondement.

 

2°/ La dignité humaine est une composante nécessaire et suffisante de la protection de la morale et de la défense de l’ordre dans une société démocratique.

 

3°/ La cour d’appel aurait dû examiner si les messages litigieux étaient gravement attentatoires à la dignité de la personne humaine.

 

L’arrêt de la Cour de cassation fait prévaloir la liberté de création artistique

 

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif que la dignité humaine n’était pas un motif suffisant pour restreindre la liberté de création artistique, composante de la liberté d’expression[2], protégée par l’article 10 § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Conformément aux dispositions de l’article 10 § 2 de la CEDG, elle énonce que : « toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés. ».

Or, la Cour de cassation retient que :

 

  • L’article 16 du Code civil relatif au respect du corps humain ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10 §2 de la CEDH, justifiant la restriction de la liberté d’expression.

 

La décision de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité d’une récente décision du Conseil d’Etat (CE, 14 avr. 2023, n° 472611, Juristes pour l’enfance / Palais de Tokyo) faisant prévaloir la liberté de création et de diffusion artistiques sur l’atteinte à la dignité humaine et à l’intérêt supérieur de l’enfant après avoir prise en compte des conditions d’accès à l’œuvre et du message de l’artiste.

 

***

[1] Civ. 1ère, 26 sept. 2018, n° 17-16.089

[2] CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33

redéfinition de la responsabilité des opérateurs de ventes volontaires

Le 20 avril dernier, dans le cadre d’une action en annulation de la vente pour erreur sur la substance, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt rappelant que la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires trouve une limite dans la négligence fautive du vendeur.

En l’espèce, la propriétaire d’un tableau du XIXème siècle en avait confié la vente aux enchères à un opérateur de ventes volontaires. Le tableau avait été adjugé 50.000 €, puis revendu 90.000 €, et enfin acquis pour un montant de 130.000 € par un particulier.

Les héritiers de la venderesse, soutenant qu’il s’agissait d’une étude du célèbre Radeau de la Méduse de Géricault, ont demandé l’annulation de la vente, en faisant valoir que le consentement de leur mère, qui ignorait que l’œuvre fut d’un auteur célèbre, avait été vicié pour erreur sur la substance et que l’opérateur de ventes volontaires avait engagé sa responsabilité pour faute.

Déboutés en première instance par le tribunal judiciaire de Paris, ils ont interjeté appel en retenant l’erreur excusable de la venderesse.

  1. L’absence d’annulation de la vente

La Cour a rappelé qu’aux termes de l’article 1110 alinéa 1 ancien du Code civil (les faits étaient antérieurs à 2016), l’erreur sur une qualité substantielle de l’œuvre pouvait entraîner la nullité de la vente, le doute sur l’attribution du tableau à Géricault n’interdisant pas l’erreur. Cependant, pour que celle-ci soit une cause d’annulation de la vente, il fallait qu’elle soit excusable.

Or, l’erreur de la venderesse ne l’était pas. La question pourrait se poser de savoir si à la lumière de nouvelles dispositions, à savoir l’article 1132 du Code civil, les juges auraient retenu le caractère excusable de l’erreur, mais il est fort peu probable.

En effet, les archives familiales, en particulier un inventaire de 1918 et un devis de restauration de 1943, auraient dû quand même conduire la venderesse à s’interroger sur une possibilité d’attribution du tableau à Géricault. D’autant qu’elle savait qu’un de ses ancêtres était le peintre Alexandre-Gabriel Decamps, qui avait pu constituer une collection personnelle et dont le frère, critique d’art, s’était positionné comme défenseur de Géricault.

Dans ces circonstances, la Cour a retenu que l’absence de consultation des archives familiales « amèn[ait] à considérer lerreur commise [par la venderesse] comme inexcusable ». Dès lors, l’erreur ne pouvait être considérée comme une cause d’annulation de la vente.

  1. L’absence de responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires

Concernant la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires, les héritiers lui reprochaient de ne pas avoir effectué les recherches appropriées pour identifier le tableau, en recourant notamment à l’assistance d’un expert. L’effervescence engendrée par la vente du tableau, précisaient-ils, aurait dû éveiller sa curiosité et le  conduire à informer la venderesse d’une possible d’attribution du tableau à Géricault.

La Cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal sur ce point et débouté les héritiers de leur demande en retenant l’absence de faute de l’opérateur de ventes volontaires. S’il résulte du recueil des obligations déontologiques qu’il est tenu d’effectuer les recherches appropriées pour identifier le bien, le recours à une expertise n’est pas obligatoire.

De plus, son obligation de recherche doit être appréciée à l’aune des circonstances de la vente et de l’attitude de la mandante ; or, en l’espèce, la venderesse n’avait jamais interrogé le commissaire-priseur sur le tableau litigieux, ni demandé que le tableau soit expertisé. Ses archives familiales – les éléments les plus pertinents qui auraient pu rattacher le tableau litigieux au Radeau de la Méduse – n’avaient été mises en lumière qu’après la vente.

Enfin, les juges ont relevé, que les héritiers ne rapportaient même pas la preuve que l’effervescence engendrée par la vente ait présenté un caractère inhabituel et de nature à conduire l’opérateur de ventes volontaires à solliciter une expertise du tableau.

Pour ces motifs, l’opérateur de ventes volontaires ne pouvait pas être retenu responsable.

***

Il ressort de cette décision que les juges ont opté pour une appréciation in concreto de la responsabilité des opérateurs de ventes volontaires, accordant davantage d’importance aux circonstances de réalisation de la vente. Celles-ci justifient que l’opérateur de ventes volontaires n’ait pas douté de l’anonymat du tableau et donc procédé à des recherches plus approfondies pour en identifier l’origine.

La décision rendue fait ainsi preuve d’une approche pragmatique de la part des juges et s’inscrit dans la suite logique d’un arrêt précédemment rendu le 25 mai 2012 (CA Paris, Pôle 2, chambre 2, 25 mai 2012, n° 10/19852), dans lequel la Cour, tout comme dans le présent d’espèce, avait refusé d’engager la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires au motif que les juges du fond avaient pu en déduire « qu’aucune faute n’était établie à l’encontre du commissaire-priseur, qui, eu égard aux données acquises au moment de la vente, n’avait aucune raison de mettre en doute l’authenticité de l’œuvre, ni par conséquent de procéder à des investigations complémentaires ».

Assurance

Le 30 mars dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt publié au bulletin rappelant que la contrefaçon constitutive d’une faute dolosive exclut toute garantie de l’assureur.

***

En l’espèce, une société spécialisée dans l’architecture d’intérieur, chargée de travaux de décoration auprès de restaurants, a fait l’objet d’une réclamation par les ayants droit d’un designer pour contrefaçon après avoir utilisé, sans autorisation, et auprès d’un large public dans des restaurants au Royaume Uni et en Europe, des reproductions dont la similitude avec les œuvres du designer, était incontestable.

Après avoir déclaré son sinistre, la société d’architecture s’est vue contrainte d’assigner son assureur qui lui refusait sa garantie, en raison de la commission d’une faute dolosive résultant du caractère flagrant et massif de la contrefaçon.

 

Dans le cadre de son pourvoi devant la Cour de cassation, la société d’architecture a soulevé qu’elle n’avait commis aucune faute dolosive, celle-ci supposant, selon les motifs de la cour d’appel, non pas la seule conscience du risque de provoquer un dommage mais la volonté de le dommage et d’en vouloir les conséquences telles qu’elles se sont produites.

Dans un arrêt du 30 mars 2023 (n° 21-21.084), la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en retenant, comme la cour d’appel, que « l’assurée avait commis une faute dolosive, laquelle n’impliquait pas la volonté de son auteur de créer le dommage », mais dispensait son assureur de toute réparation.

Ce faisant, la Cour de cassation confirme que la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré, commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (Civ. 2ème., 20 janvier 2022, n° 20-13.245), et souligne son autonomie par rapport à la faute intentionnelle, celle-ci impliquant la volonté par l’assuré de causer le dommage tel qu’il s’est réalisé.

Cette décision s’inscrit encore dans la suite logique d’un arrêt précédemment rendu le 10 juin 2021 (Civ. 3ème., 10 juin 2021, n° 20-10.774), qui avait déjà clairement affirmé la dualité et l’indépendance des fautes visées par l’article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances.

 

La Cour de cassation rappelle enfin le caractère légal et d’ordre public de l’exclusion des fautes intentionnelle ou dolosive visées par l’article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances : « la croyance que peut avoir l’assuré de ce que le contrat d’assurance couvre la faute qu’il commet n’est pas de nature à écarter l’exclusion légale et d’ordre public des fautes intentionnelles ou dolosives, quelle que soit la police d’assurance souscrite ».