Action en nullité de la vente pour erreur : une occasion pour redéfinir les contours de la responsabilité des opérateurs de ventes volontaires
Le 20 avril dernier, dans le cadre d’une action en annulation de la vente pour erreur sur la substance, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt rappelant que la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires trouve une limite dans la négligence fautive du vendeur.
En l’espèce, la propriétaire d’un tableau du XIXème siècle en avait confié la vente aux enchères à un opérateur de ventes volontaires. Le tableau avait été adjugé 50.000 €, puis revendu 90.000 €, et enfin acquis pour un montant de 130.000 € par un particulier.
Les héritiers de la venderesse, soutenant qu’il s’agissait d’une étude du célèbre Radeau de la Méduse de Géricault, ont demandé l’annulation de la vente, en faisant valoir que le consentement de leur mère, qui ignorait que l’œuvre fut d’un auteur célèbre, avait été vicié pour erreur sur la substance et que l’opérateur de ventes volontaires avait engagé sa responsabilité pour faute.
Déboutés en première instance par le tribunal judiciaire de Paris, ils ont interjeté appel en retenant l’erreur excusable de la venderesse.
- L’absence d’annulation de la vente
La Cour a rappelé qu’aux termes de l’article 1110 alinéa 1 ancien du Code civil (les faits étaient antérieurs à 2016), l’erreur sur une qualité substantielle de l’œuvre pouvait entraîner la nullité de la vente, le doute sur l’attribution du tableau à Géricault n’interdisant pas l’erreur. Cependant, pour que celle-ci soit une cause d’annulation de la vente, il fallait qu’elle soit excusable.
Or, l’erreur de la venderesse ne l’était pas. La question pourrait se poser de savoir si à la lumière de nouvelles dispositions, à savoir l’article 1132 du Code civil, les juges auraient retenu le caractère excusable de l’erreur, mais il est fort peu probable.
En effet, les archives familiales, en particulier un inventaire de 1918 et un devis de restauration de 1943, auraient dû quand même conduire la venderesse à s’interroger sur une possibilité d’attribution du tableau à Géricault. D’autant qu’elle savait qu’un de ses ancêtres était le peintre Alexandre-Gabriel Decamps, qui avait pu constituer une collection personnelle et dont le frère, critique d’art, s’était positionné comme défenseur de Géricault.
Dans ces circonstances, la Cour a retenu que l’absence de consultation des archives familiales « amèn[ait] à considérer l’erreur commise [par la venderesse] comme inexcusable… ». Dès lors, l’erreur ne pouvait être considérée comme une cause d’annulation de la vente.
- L’absence de responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires
Concernant la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires, les héritiers lui reprochaient de ne pas avoir effectué les recherches appropriées pour identifier le tableau, en recourant notamment à l’assistance d’un expert. L’effervescence engendrée par la vente du tableau, précisaient-ils, aurait dû éveiller sa curiosité et le conduire à informer la venderesse d’une possible d’attribution du tableau à Géricault.
La Cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal sur ce point et débouté les héritiers de leur demande en retenant l’absence de faute de l’opérateur de ventes volontaires. S’il résulte du recueil des obligations déontologiques qu’il est tenu d’effectuer les recherches appropriées pour identifier le bien, le recours à une expertise n’est pas obligatoire.
De plus, son obligation de recherche doit être appréciée à l’aune des circonstances de la vente et de l’attitude de la mandante ; or, en l’espèce, la venderesse n’avait jamais interrogé le commissaire-priseur sur le tableau litigieux, ni demandé que le tableau soit expertisé. Ses archives familiales – les éléments les plus pertinents qui auraient pu rattacher le tableau litigieux au Radeau de la Méduse – n’avaient été mises en lumière qu’après la vente.
Enfin, les juges ont relevé, que les héritiers ne rapportaient même pas la preuve que l’effervescence engendrée par la vente ait présenté un caractère inhabituel et de nature à conduire l’opérateur de ventes volontaires à solliciter une expertise du tableau.
Pour ces motifs, l’opérateur de ventes volontaires ne pouvait pas être retenu responsable.
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Il ressort de cette décision que les juges ont opté pour une appréciation in concreto de la responsabilité des opérateurs de ventes volontaires, accordant davantage d’importance aux circonstances de réalisation de la vente. Celles-ci justifient que l’opérateur de ventes volontaires n’ait pas douté de l’anonymat du tableau et donc procédé à des recherches plus approfondies pour en identifier l’origine.
La décision rendue fait ainsi preuve d’une approche pragmatique de la part des juges et s’inscrit dans la suite logique d’un arrêt précédemment rendu le 25 mai 2012 (CA Paris, Pôle 2, chambre 2, 25 mai 2012, n° 10/19852), dans lequel la Cour, tout comme dans le présent d’espèce, avait refusé d’engager la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires au motif que les juges du fond avaient pu en déduire « qu’aucune faute n’était établie à l’encontre du commissaire-priseur, qui, eu égard aux données acquises au moment de la vente, n’avait aucune raison de mettre en doute l’authenticité de l’œuvre, ni par conséquent de procéder à des investigations complémentaires ».
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