FOCUS #1 : LA PHOTOGRAPHIE DANS L’ESPACE PUBLIC : PEUT-ON TOUT PHOTOGRAPHIER ? (2/3)
PHOTOGRAPHIE DANS LA RUE ET IMAGE DES BIENS SUR LA VOIE PUBLIQUE. PAS D’INQUIÉTUDE DANS LA PRISE DE VOS SELFIES !
Quels sont les risques et les enjeux de photographier les œuvres architecturales au regard du droit d’auteur ?
En 2001, le Parlement européen a décidé de laisser chaque État membre choisir s’il voulait adopter ou non une exception de panorama obligatoire. En 2015, la question est relancée avec l’adoption par le Parlement européen du rapport dit « Reda », relatif à la mise en œuvre de la directive de 2001, qui recommande d’harmoniser l’exception de panorama au sein de l’Europe. De quoi s’agit-il exactement ? Qu’est‑ce que l’exception de panorama et pourquoi est-elle si débattue ces dernières années ?
⚖️ Introduite en France par la loi du 7 octobre 2016, dite « pour une République numérique », l’exception de panorama permet à toute personne de reproduire et représenter des œuvres architecturales et sculpturales situées en permanence dans des espaces publics, tant que cela n’est pas fait à des fins commerciales. Ce principe est inscrit à l’article L. 122-5, 11° du Code de la propriété intellectuelle. Cela signifie que vous pouvez prendre des photos de bâtiments ou de sculptures visibles dans la rue et les partager, tant que vous n’en tirez pas de profit commercial.
Le droit français a ainsi choisi de subordonner l’exception de panorama à la condition supplémentaire d’un usage non-commercial, rendant son champ d’application beaucoup plus restreint par rapport à l’exception « européenne »[1].
Pour mieux comprendre les implications de cette législation, voici quelques réponses aux questions pratiques les plus courantes.
- Puis-je partager le selfie que j’ai pris devant la Tour Eiffel de nuit sur mes réseaux sociaux ?
La Tour Eiffel, monument symbolique de la capitale française, achevée en 1889, n’est plus protégée par le droit d’auteur. En effet, soixante-dix ans se sont écoulés depuis la mort de son architecte, Gustave Eiffel, rendant désormais libre l’exploitation de l’image de la Tour Eiffel. Des photos ou des selfies devant la Tour Eiffel peuvent donc être pris, sans avoir à demander l’autorisation des ayants-droits de M. Eiffel.
Il n’en est pas de même si l’on prend un selfie avec la Tour Eiffel illuminée. L’illumination de 5 minutes qui se déclenche à la tombée de la nuit, au début de chaque heure, est protégée par le droit d’auteur. L’exploitation de l’image de la Tour Eiffel la nuit n’est donc pas libre, mais conditionnée à l’autorisation préalable de la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel (SETE).
Sans cette autorisation, vous vous exposez à trois ans d’emprisonnement et à 300.000 € d’amende.
🥑 Nos conseils :
Vous êtes un particulier qui a pris une photographie pour la partager avec vos proches, vous n’avez donc rien à craindre.
Vous êtes un influenceur, photographe professionnel, éditeur ou tout autre professionnel et vous voudriez partager la photo de nuit sur les réseaux sociaux pour alimenter votre activité commerciale, vous devez alors demander l’autorisation à la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel (SETE), sous peine d’être exposé aux sanctions évoquées.
- Et s’il s’agit d’un selfie devant la Pyramide du Louvre, la solution est-t-elle la même ?
La Pyramide du Louvre, construite en 1989 par l’architecte Ipoh Ming Pei est encore protégée par le droit d’auteur. L’exploitation de son image ne sera libre qu’en 2089, soixante-dix ans après la mort de son architecte, intervenue le 16 mai 2019. Et entre-temps ?
Toute personne physique prenant un selfie devant la Pyramide et le partageant sur ses réseaux sociaux, doit demander l’autorisation des ayants droits de Ipoh Ming Pei ; à condition, encore une fois, que le selfie soit partagé à des fins commerciales.
L’exception de panorama remplit son rôle : elle protège toute personne physique, dont la seule intention est de capturer un bon moment et de le partager avec ses amis.
- Et le Domaine de Chambord ?
Les domaines nationaux sont des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation[2]. Le Domaine de Chambord, comme tous les domaines nationaux, fait partie du domaine public.
L’exception de panorama introduite par le législateur n’est pas destinée à s’appliquer aux ensembles ayant un caractère historique et artistique. Néanmoins, en 2016, le législateur a ajouté des dispositions spéciales dans le code du patrimoine visant à « permettre la valorisation économique du patrimoine que constituent ces domaines nationaux[3] ».
Ces dispositions viennent limiter l’exploitation de l’image de la vingtaine de domaines nationaux, dont le domaine de Chambord fait partie. En effet, l’article L. 621-42 du code du patrimoine dispose que « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national[4]. »
Le gestionnaire du domaine qui reçoit cette demande est tenu d’accorder une autorisation, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux. Ce dernier ne peut refuser l’exploitation de l’image du domaine que dans le cas où « l’exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l’image de ce bien présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation[5] ».
À défaut d’une demande préalable d’autorisation, l’utilisation à des fins commerciales des prises de vues d’un immeuble inclus dans la liste des domaines nationaux, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire de l’immeuble[6].
⚠️ L’autorisation n’est toutefois pas requise si l’utilisation à des fins commerciales poursuit également une finalité visée par le texte, à savoir « finalité culturelle, artistique, pédagogique, d’enseignement, de recherche, d’information, d’illustration de l’actualité ou liée à l’exercice d’une mission de service public[7] ».
🥑 Nos conseils :
Vous êtes un particulier et vous envisagez un usage à titre privé, vous n’avez donc là encore rien à craindre.
Vous êtes un influenceur, photographe professionnel, éditeur ou tout autre professionnel et vous voudriez partager la photo du Domaine de Chambord ou d’un autre domaine national pour votre activité commerciale, demandez l’autorisation au gestionnaire du domaine concerné, sous peine de voir votre responsabilité pour faute engagée.
Cette autorisation ne pourra, par ailleurs, pas vous être refusée, à moins que le gestionnaire considère que l’exploitation envisagée porte atteinte à l’image du domaine.
⚠️ Vous estimez poursuivre une finalité visée par le texte ? L’autorisation n’est en théorie pas nécessaire. Néanmoins, nous vous recommandons de vous rapprocher d’un conseil. Notre cabinet se tient à votre disposition si vous avez des questions.
💡Avant toute exploitation d’un domaine, pensez à consulter la liste de l’article R. 621-98 du code du patrimoine pour voir si le domaine, dont vous souhaitez exploiter l’image, est inscrit au titre des domaines nationaux.
[1] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, article 5, 2. h).
[2] Article L. 621-34 du code du patrimoine.
[3] Conseil constitutionnel, 2 février 2018, Assoc. Wikimédia France et a., n° 2017-687 QPC, 10.
[4] Article L. 621-42 du code du patrimoine.
[5] Conseil constitutionnel, 2 février 2018, Assoc. Wikimédia France et a., n° 2017-687 QPC, 12.
[6] Conseil d’État, 13 avril 2018, Éts public du domaine national de Chambord c/ Sté Les Brasseries Kronenbourg, n°397047.
[7] Conseil constitutionnel, 2 février 2018, Assoc. Wikimédia France et a., n° 2017-687 QPC, 11.
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