Comment un auteur étranger peut-il bénéficier du droit de suite en France ?

La ministre de la Culture a récemment accordé le bénéfice du droit de suite à plusieurs artistes ressortissants d’Etats tiers à l’Union européenne : Sam Francis et Yves Tanguy (américains), Takesada Matsutani (japonais) et Isabelle Waldberg (suisse) [1].

Composante des prérogatives des droits d’auteur, le droit de suite est un pourcentage perçu sur le prix des reventes successives des œuvres lorsqu’intervient un professionnel du marché de l’art. Il bénéficie aux auteurs d’œuvres originales d’art graphique et plastique, et à leurs ayants-droit pendant 70 ans à compter de leur décès.

La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s’opère entre deux professionnels, au vendeur [2].

Le droit de suite reste ignoré par d’importants pays acteurs du marché de l’art comme la Suisse, le Japon et les Etats-Unis, bien que reconnu par l’article 14 ter de la Convention de Berne [3].

L’absence de reconnaissance du droit de suite dans ces pays n’empêche pas ses auteurs ressortissants d’en bénéficier en France [4].

Les deux conditions cumulatives posées par l’article L.122-8 du code de la propriété intellectuelle sont :

  • Être un auteur qui a eu, pendant au moins 5 années, même non consécutives, sa résidence habituelle en France ;
  • Et qui a participé à la vie de l’art français.

Sur la résidence habituelle, il sera rappelé que la directive européenne 2001/84/CE du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale [5] permet aux auteurs ressortissants d’un Etat tiers à l’Union européenne de jouir des mêmes droits que les auteurs originaires d’un Etat membre, à l’unique condition qu’ils aient leur résidence habituelle dans cet Etat membre [6].

Le législateur français est venu ajouter à cette disposition européenne la condition de la participation à la vie de l’art français, au cours de leur carrière artistique [7].

La notion de « participation à la vie de l’art français » n’est pas définie dans les textes. Néanmoins, l’étude de la carrière artistique de Sam Francis, Yves Tanguy, Takesada Matsutani et Isabelle Waldberg permet d’appréhender les critères pris en compte.

  • Sam Francis, peintre expressionniste abstrait américain, a déménagé à Paris en 1950 où il a fortement été influencé par l’impressionnisme français. Le Time Magazine l’a nommé « le peintre américain le plus en vogue à Paris ces jours-ci». Il est actuellement exposé à l’exposition collective « Americans in Paris : Artists Working in Postwar France, 1946-1962 » à la Galerie d’art Grey de l’Université de New York[8].
  • Takesada Matsutani est un artiste contemporain japonais vivant à mi-chemin entre le Japon et Paris. Il a remporté le prix de l’Institut franco-japonais de Tokyo en 1966, ce qui lui a permis, grâce à la bourse de 6 mois d’étude en France, de découvrir la France avant de s’y installer définitivement [9].
  • Yves Tanguy était un peintre français surréaliste. En 1925, il a commencé la peinture et s’est rapproché des artistes surréalistes. Il fréquentait Robert Desnos, Georges Malkine, André Breton ou encore Louis Aragon et avait une importance certaine sur la scène artistique française. Il a visité les Etats-Unis en 1939 et a obtenu la nationalité américaine en 1948 [10].
  • Isabelle Waldberg, sculptrice suisse, a étudié la sociologie et l’ethnologie à l’Ecole des Hautes études de la Sorbonne. Elle a été la seule femme participant à la revue Acéphale de Georges Bataille et était une amie de Giacometti et André Masson. Elle a travaillé dans l’atelier de Marcel Duchamp et a été professeur de sculpture à l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris [11]. Cette artiste a participé activement à la vie artistique française, notamment parisienne, de la période d’après-guerre.

La demande doit être présentée par l’auteur ou ses ayants droit à la ministre de la Culture qui statue après avis d’une commission.

Pour rappel, le bénéfice du droit de suisse en France est également accordé :

  • Aux auteurs ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen qui disposent, en France, des mêmes droits que les auteurs français[12].
  • Aux auteurs ressortissants d’un État reconnaissant la jouissance du droit de suite aux auteurs de l’Union européenne, en raison du principe de réciprocité[13].

 


[1]  Arrêtés du 30 octobre 2024 parus au J.O. n°0287 du 5 décembre 2024 (Sam Francis et Takesada Matsutani) ; Arrêté du 15 janvier 2025 paru au J.O. n°0014 du 17 janvier 2025 ; Arrêté du 3 février 2025 paru au J.O. n°0031 du 6 février 2025.

[2] CPI, art. R.122-9.

[3] Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre 1886, art. 14 ter.

[4] CPI, art. L.122-8 ; CPI, art. R.122-4.

[5] Dir. 2001/84/CE.

[6] Dir. 2001/84/CE, art. 7.3.

[7] CPI, art. L.122-8 ; CPI, art. R.122-4.

[8] Biographie, Sam Francis Foundation, consulté le 4 avril 2025.

[9] Biographie, Atelier Matsutani, consulté le 4 avril 2025.

[10] Biographie Yves Tanguy, Universalis, article modifié le 29 janvier 2025, consulté le 4 avril 2025.

[11] Agnès de La Beaumelle, Extrait du Dictionnaire universel des créatrices, Éditions des femmes, Antoinette Fouque, 2013 via Isabelle Waldberg, Aware, consulté le 2 avril 2025.

[12] Dir. 2001/84/CE ; CPI, art. L.122-8, al. 1.

[13] CPI, art. L.122-8, al. 5 ; Dir. 2001/84/CE, art. 7.1.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.