Action en revendication d’un bien appartenant au domaine public mobilier : l’État échoue à obtenir le maintien d’une œuvre en France

,

Cour d’appel, Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 4 avril 2024, n°23/04404

Dans un arrêt du 4 avril 2024, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a annulé le placement sous séquestre de la sculpture Mademoiselle Rachel chantant la Marseillaise d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse, ordonné par le président du tribunal judiciaire de Marseille à la demande de l’Etat.

L’œuvre avait été prêtée par son propriétaire, domicilié en Suisse, à un musée d’Histoire français dans le cadre d’une exposition temporaire.

L’Etat a alors souhaité procéder à sa revendication à raison de son appartenance au domaine public, et empêcher sa sortie du territoire français le temps de la procédure judiciaire.

Dans un premier temps, l’Etat s’est rapproché du prêteur afin de convenir avec lui, à l’amiable, des perspectives de restitution. La tentative est toutefois restée sans réponse.

Par ordonnance sur requête du 23 juin 2022, le tribunal judiciaire de Marseille a ordonnée le séquestre de l’œuvre et l’a confiée au musée.

Le propriétaire de l’œuvre a sollicité la rétractation de la requête mais le président du tribunal judiciaire de Marseille l’a débouté de ses demandes, par ordonnance du 3 mars 2023.

Le 24 mars 2023, le propriétaire a interjeté appel aux motifs qu’il n’y avait aucune nécessité de déroger au principe du contradictoire et que l’Etat aurait pu procéder autrement pour obtenir une restitution que par surprise.

→ Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas pu obtenir le maintien de la mise sous séquestre de la sculpture ?

La Cour d’appel a estimé que les circonstances de l’espèce ne permettaient pas de justifier le recours à une procédure contradictoire dès lors que :

  • L’Etat aurait pu saisir le juge des référés, par une assignation d’heure à heure, dès le mois d’avril 2022, date à laquelle il avait formulé son intention de revendiquer l’œuvre. Or, une action n’a été intentée que quelques jours avant la fin de l’exposition, soit deux mois après.
  • L’Etat ne rapporte pas la preuve d’un risque concret de rapatriement de l’œuvre en Suisse en cours d’exposition[1] – une résiliation préalable du contrat de prêt étant nécessaire.

En conséquence, la Cour a rétracté l’ordonnance de séquestre, du fait de son irrégularité, et a ordonné la restitution de la sculpture à son propriétaire.

Une discussion au fond sur la propriété de la sculpture est toujours possible.

→ Dans quels cas l’Etat agit-il pour obtenir la restitution de biens appartenant au domaine public ?

L’Etat agit[2] exclusivement lorsqu’il a acquis la certitude ou, du moins, l’intime conviction, qu’il dispose d’éléments suffisants pour prouver que le bien culturel se trouvant entre des mains privées :

  1. A été autrefois volé ou est sorti irrégulièrement du domaine public ;
  2. Constitue des archives publiques depuis son origine.

Dans ces hypothèses, seul l’Etat, représenté par l’administration chargée des domaines[3], a le pouvoir d’agir devant le juge judiciaire. Cependant, dans cette affaire, la cour d’appel a admis que le Centre National pour les Arts Plastiques (CNAP) assiste l’Etat pour suivre les instances intéressant son droit à la propriété.

→ Quel est le risque pour le propriétaire de l’œuvre dont la propriété est revendiquée par l’Etat ?

Lorsqu’il est fait droit à l’action en revendication de l’Etat, le propriétaire de l’œuvre, même de bonne foi, est tenu de le restituer[4]. Cela s’explique par les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité des biens relevant du domaine public. Toutefois, si le bien en question a été acquis lors d’une vente, l’acheteur mis en demeure de restituer l’œuvre bénéficie d’une action en garantie d’éviction contre son vendeur personne privée[5], sous réserve des dispositions réglant la prescription en matière mobilière[6].

Si l’État tarde à en demander la restitution, le préjudice lié à la perte de jouissance du bien peut être réparé dès lors que le détenteur supporte une charge exorbitante (pour plus de précisions sur les conditions d’indemnisation, nous vous invitons à lire ou à redécouvrir notre article sur le sujet).

 


[1] Au contraire, le juge des référés avait ordonné la mise sous séquestre d’une œuvre, dans une affaire où les propriétaires d’origine américaine avaient déclaré leur intention de ramener l’œuvre prêtée aux Etats-Unis sitôt la fin de l’exposition (TGI Paris, réf. 30 mai 2017, n°17/52.901).

[2] A titre d’illustration, les juges ont ordonné la restitution des biens suivants : les archives du général François de Chasseloup-Laubat ainsi que leurs copies (Cass. Civ. 1e, 21 juin 2018, n°17/19.751), un bureau Louis XVI inscrit à l’inventaire annexe du Mobilier national (TGI Paris, 6 janvier 2015, n°14/01.319) ou un manuscrit de l’architecte et historiographe André Félibien acquis en 1719 par la Bibliothèque royale (CE, 28 juillet 2017, n°392122).

[3] Articles R. 2331-1 et R. 2331-2 du code général de la propriété des personnes publiques.

[4] TJ Paris, 17 mars 2021, n° 18/07785 : le propriétaire de bonne foi ne peut pas invoquer l’inaction de l’État lors de précédentes ventes aux enchères comme renonciation à la revendication.

[5] Article L. 112-23 du code du patrimoine renvoyant expressément à l’article 1626 du Code civil.

[6] Article 2224 du Code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Etant entendu que la mise en demeure par l’Etat de restituer le bien ne constitue pas nécessairement le fait permettant à l’acheteur d’exercer son action en garantie.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.